Enfin un économiste qui sait écrire ! La lecture en est agréable. Et ce n’est pas un luxe. Car la formalisation la plus rigoureuse appelle toujours un adjuvant littéraire pour honorer le caractère herméneutique de la science économique. Le marché, selon Michel Henochsberg, n’est pas ce que l’on croit. Spontanément, on imagine qu’il s’oppose à l’Etat, alors qu’il n’en est qu’un instrument. On pense qu’il est un lieu de liberté, alors qu’il soumet les intervenants à des règles strictes. On se représente la concurrence comme un préalable au marché ; elle n’en est que le produit. On prétend qu’il exprime, via les prix, une réalité économique sous-jacente, les « fondamentaux », alors qu’il est autoréférentiel. En insistant sur l’idée de vraisemblance comme point central du marché, l’auteur place l’analyse en son vrai lieu, celui des désirs et de l’imaginaire des acteurs. Sur ce chemin, l’économie dite des conventions, qui tente à frais nouveaux une interprétation institutionnelle des phénomènes de marché, est une référence inévitable. Sans le dire, Michel Henochsberg met au jour la transcendance voilée sous-jacente à toute analyse des rapports d’échange. Adam Smith parlait de la « main invisible », Léon Walras du « crieur de marché », les tenants de la théorie des jeux de « connaissance commune », Keynes lui-même parlait de « convention » à propos des marchés boursiers et posait qu’il n’existait aucune référence objective pour fixer le taux d’intérêt. Prix conventionnels, donc, que les prix de marché où la convention – c’est le mérite de l’auteur de le mettre en scène – prend des formes discrètes : la confiance, l’habitude, l’honnêteté, la bonne foi, la tradition, la sympathie, l’honnêteté, la reconnaissance, la proximité. De là à prétendre, à la suite de l’auteur, que les « faits » s’opposent aux idées, c’est un pas que nous ne franchirons pas. Car ces faits mis au jour par l’auteur reflètent finalement assez bien les idées conformes à la situation présente, où la complexité des échanges rend de plus en plus abstraite l’économie vécue par chacun.