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Film - La négociation : qui veut sauver le climat ?

Vincent Gaullier et Laurent Salters 2012, France, 49 min

Ce jeu de rôle n’en est pas un : on ne lutte pas contre des dragons, mais pour limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici 2050 ; par ailleurs, il a déjà eu lieu à Copenhague en décembre 2009 et s’est mal fini. L’expérience filmée ici s’inspire en effet directement de l’échec de cette conférence des Nations unies sur les changements climatiques, qui avait réuni la quasi-totalité des États de la planète et soulevé des espoirs incommensurables. Peut-on en rejouer la scène pour en faire l’analyse ? C’est le pari tenu par l’Institut d’études politiques de Paris, qui, sous la direction de Bruno Latour et Laurence Tubiana, a mobilisé 160 étudiants et plusieurs enseignants-chercheurs1 durant l’année universitaire 2010-20112. Ce documentaire en suit le point d’orgue : la simulation de la conférence de Copenhague sur le climat3.

Plutôt que de relever les biais et limites – nombreux et connus des organisateurs comme des participants – intrinsèques à l’exercice, il faut en souligner la formidable créativité. En effet, ni la connaissance des données et objectifs de la lutte contre le réchauffement climatique, ni celle des multiples clivages géopolitiques qu’elle suscite ne suffisent. L’idée est qu’ils soient éprouvés par les étudiants eux-mêmes, qui peuvent ainsi prendre conscience de la complexité des problématiques et des rapports de pouvoir noués autour du climat. Il ne s’agit pas de reproduire à l’identique la configuration d’acteurs de la conférence de Copenhague : le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) 4 est présent à la table des négociations alors que les présidents des États sont absents, et l’Alliance des petits États insulaires (Aosis), particulièrement concernée par le changement climatique5, a un poids accru. Le film retrace donc la négociation, du discours inaugural jusqu’à la signature du traité par les dix-neuf délégations nationales représentées, en se concentrant sur les principaux points de tensions et de blocage. Les réalisateurs réussissent à ménager un certain suspens et restituent bien l’émotion grandissante qui saisit la plupart des étudiants à mesure que le jeu et les enjeux les gagnent. La simulation donne lieu à une fantastique élaboration et confrontation de discours, contraints par la structure et les procédures propres à une réunion onusienne de première importance. On peut toutefois regretter que le rôle des « journalistes » et des « ONG », dont l’activité et l’activisme autour de la vraie conférence ont été colossaux, ne soit pas précisé. L’écheveau des discussions, formelles ou informelles, la circulation de l’information (via les réseaux sociaux notamment), l’agencement et la répartition du travail entre les différents groupes de travail sont bien montrés. Entre morceaux de bravoure, micro-conflits, ruptures et reprises de dialogue, confusion et propos abrupts (un afflux de réfugiés climatiques6 créerait « Israël-Palestine fois dix » à travers le monde !), les participants se rendent compte – grâce un membre de la délégation indienne qui décide simplement de se pencher sur les chiffres – que les objectifs fixés sont intenables... La « crise » et l’abattement qui s’ensuivent sont finalement surmontés, du fait d’une profonde volonté d’obtenir un consensus face à la nécessité de « sauver la planète ».

Le documentaire donne ainsi à voir comment les étudiants s’approprient leur rôle et investissent leur conférence de Copenhague. Cette qualité en constitue également sa principale limite : trop centré sur le processus de négociation, il n’explicite ni la méthode, ni les tenants et les aboutissements de l’ensemble du dispositif. Aussi montre-t-il surtout une remarquable mise en scène, dont la portée est difficile à saisir.

Enfin, une question de fond n’est pas soulevée : la « révolution climatique », qui engagerait l’ensemble des sociétés, peut-elle naître au sein des Nations unies ? La conception fortement élitiste7 selon laquelle il est possible de « changer le monde » depuis son sommet est imposée ici comme une évidence. Quand les « négociateurs » prennent conscience de la gravité de la situation, l’un des enseignant-chercheurs déclare : « Les habitants de la planète viennent de rentrer dans la salle. » Sans doute les réalisateurs se sont-ils laissés prendre à ce jeu passionnant et ont-ils manqué de recul. Quoi qu’il en soit, leur film, d’une grande sincérité, permet de découvrir une expérience pédagogique stupéfiante, ainsi que de réfléchir aux rapports entre simulation et réalité.

© Vincent Gaullier et Laurent Salters

Pour aller plus loin :

« La négociation : qui veut sauver le climat ? » sera diffusé sur France 5 le lundi 26 novembre.

Vincent Gaullier, « Négociation expérimentale sur le changement climatique », Science actualités.fr, 22/06/2011.


1 Deux d’entre eux, Grégory Quenet et Sébastien Treyer, particulièrement impliqués dans ce projet interviennent dans le documentaire.

2 Pour une présentation plus détaillée : Global Horizons, juillet-août 2011, p. 1 et Audrey Garric, « Négociations climatiques : et si Copenhague s’était passé autrement ? », 10 juin 2011.

3 Le titre est bien choisi : ce n’est pas le climat qui est au centre, ni l’ensemble du dispositif mis en place, mais ce moment très particulier de la négociation internationale lors de la conférence.

4 Pour l’implication du Giec dans la problématique du changement climatique : Matthieu Calame, « Bienvenue dans l’anthropocène. Le changement climatique et ses conséquences », La vie des idées, 10 mars 2008.

5 Gilbert David, « Existe-t-il une spécificité insulaire face au changement climatique ? », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement, vol. 10, n°3, décembre 2010.

6 Lire à ce sujet Grégoire Allix, « L’Onu appelle les États à favoriser les migrations liées à l’environnement »,  Le Monde, 25/10/2012, p. 7 et Luc Cambrézy et Véronique Lassailly-Jacob (dir.), « Réfugiés climatiques, migrants environnementaux ou déplacés ? »,  Revue Tiers Monde, n°204, 2010/4.

7 « Sciences Po » est d’emblée présentée comme « la fabrique des élites de demain ». Laurence Tubiana, cité dans Global Horizons en 2011  dit aux étudiants en conclusion de leur conférence : « Le monde est entre vos mains. »

Jean Vettraino
26 octobre 2012
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