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La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique

Guillaume Pitron Les Liens qui Libèrent, 2018, 296 p., 20 €

Décarboner l’économie par la transition énergétique, dites-vous ? La réduction des gaz à effet de serre rejetés dans l’atmosphère est un impératif. Les compteurs sont au rouge. Il faut dès lors se tourner vers des sources d’approvisionnement plus propres. Un marché s’ouvre, celui des énergies dites renouvelables. Solaire, éolien, hydraulique, biomasse, géothermie, les techniques visent un objectif, capter l’énergie dans des sources inépuisables, comme le vent et les marées. Le marché des renouvelables représente désormais 20 % de la consommation d’énergie dans le monde. Pour autant, doit-on y voir le signe du progrès ? Quelle est la composante verte de ces nouvelles technologies supposées nous sortir du mauvais rêve du réchauffement climatique ? Dans La guerre des métaux rares, le journaliste Guillaume Pitron se montre pour le moins dubitatif.

Pour l’auteur, le discours de la transition énergétique prospère sur une pensée hors-sol. « Les green tech peuvent bien naître dans la tête d’un chercheur en sciences fondamentales, connaître une application concrète grâce à la persévérance d’un entrepreneur, être favorisées par une fiscalité attrayante et des réglementations flexibles, portées par des investisseurs audacieux et des business angels bienveillants, il n’empêche : chacune d’elles procède d’abord beaucoup plus prosaïquement d’un cratère entaillé dans le sol. » Car pour produire du solaire, de l’éolien ou n’importe quelle énergie « renouvelable », il est besoin de métaux rares, ces métaux que l’on retrouve dans les batteries de voitures électriques, les appareils de radiographie ou les puces des smartphones. En plus d’être rares, ces métaux ne sont pas renouvelables. Leur formation prend des milliards d’années. Relevons que les métaux rares sont une catégorie plus large que celle des « terres rares » (17 métaux, dont le cérium, le dysprosium, le thulium…), car ils incluent également l’indium, le germanium, le cobalt, etc.

Stockés dans les couches du sous-sol, certains de ces matériaux peuvent, en proportion infime, décupler la puissance d’un champ magnétique. Mais leur extraction requiert une énergie importante. À titre d’exemple, « il faut purifier huit tonnes et demie de roche pour produire un kilo de vanadium, seize tonnes pour un kilo de cérium, cinquante tonnes pour un kilo de gallium », explique Guillaume Pitron. Pour extraire ces métaux rares, il faut donc des centrales électriques qui permettent d’exploiter une mine, de raffiner les minerais, mais il faut aussi les expédier vers des centres de production où ils seront incorporés à une éolienne ou à un panneau solaire. Un processus certes plus léger en carbone que la seule combustion des énergies fossiles, mais dont le bilan environnemental est loin d’être nul.

La facture risque même d’être très salée. L’enquête de Guillaume Pitron l’emmène dans un village du nord-est de la Chine où 90 % des habitants ont dû quitter leurs terres. La raison de cet exode ? Des rizières devenues infertiles à cause des rejets de produits chimiques utilisés pour purifier les minerais. Loin de prévenir la pollution des sols, les autorités locales se contentent de dédommager les villageois pour leur départ. Avec une somme « qui ne satisfait pas les agriculteurs car le prix des appartements en ville reste largement prohibitif ». Les rivières et les fleuves connaissent le même sort que les sols. Les stations d’épuration sont quasi inexistantes dans l’Empire du milieu, or il faut 200 m3 d’eau pour purifier une tonne de terres rares. Faisant une halte à Weikuand Dam, non loin de la ville de Baotou, en Chine du nord, G. Pitron décrit « des dizaines de boyaux métalliques qui vomissent des torrents d’eau noirâtre ». « C’est ici que bat le cœur de la transition énergétique et numérique. » Dans le pays leader mondial de l’exportation de métaux et terres rares, les conséquences sont aussi sanitaires. De même en République démocratique du Congo, qui satisfait plus de la moitié des besoins de la population mondiale en cobalt. Là, l’auteur rapporte des études réalisées par des médecins congolais : dans les urines de populations riveraines des mines de Lubumbashi, on retrouve une concentration en cobalt jusqu’à 43 fois supérieure à la moyenne (risques accrus de malformation chez le nourrisson).

On touche bien à une contradiction : sous couvert de mutation écologique, la société enfante de nouveaux monstres, environnementalement non désirables. Sous couvert de mutation vers un monde plus fraternel, elle réactive des tensions en créant une « guerre des métaux rares ».

La situation géopolitique peut se durcir si Pékin fait monter les cours. Car la Chine produit 67 % du germanium, un composant incontournable pour les panneaux solaires, 55 % du vanadium (fort utilisé dans l’industrie spatiale) et... 95 % des terres rares.

Aussi Guillaume Pitron plaide-t-il pour la réouverture de mines en France, avec un argument géostratégique mais aussi écologique : éviter l’externalisation des nuisances dans les pays et continents voisins. « La mine responsable chez nous vaudra toujours mieux que la mine irresponsable ailleurs. » Il s’agit selon lui de reconquérir la souveraineté minérale que la France a perdue (toutes les activités d’exploration ont cessé depuis une vingtaine d’années) : de nouveaux jalons ont d’ailleurs été posés, avec onze permis de recherche accordés en France métropolitaine et en Guyane en 2015.

L’auteur signe ici un ouvrage qui fait parler nos objets du quotidien par le prisme de la géopolitique. Dans un style didactique et agréable, il apporte un éclairage bienvenu à une zone d’ombre de nos sociétés. Son étude de terrain foisonnante complète utilement les travaux scientifiques d’un Philippe Bihouix ou d’un Ugo Bardi, par exemple. Mais une fois le livre refermé, deux débats restent en suspens.

Comment relocaliser l’extraction des métaux rares si nous notre sous-sol en est dépourvu ? La France a certes extrait bien des métaux par le passé (antimoine, molybdène, plomb, magnésium…), elle le fait encore (étain, tantale) et l’on sait que son attachement à la Nouvelle-Calédonie (nickel, cobalt) ou à la Guyane (or) n’est pas étranger à la richesse de leurs strates géologiques, mais la reprise ou l’intensification des forages ne saurait couvrir la diversité des besoins. Et les possibilités de recyclage demeurent réduites : à ce jour, aucun processus pour « désallier » et ré-utiliser les métaux rares n’a été jugé rentable.

Enfin, le mot « sobriété » n’apparaît que timidement : une seule fois, dans l’avant-dernier paragraphe de la conclusion. Il ne fait l’objet d’aucun développement. Avant d’encourager nos chercheurs à travailler sur le recyclage des métaux rares, d’exploiter de nouveaux gisements (comme la très controversée « Montagne d’or » dans l’ouest guyanais) et de mettre à sec nos propres réserves, il est un chantier prioritaire à creuser : de quoi avons-nous vraiment besoin ?

Lucile Leclair
16 mars 2018
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