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Film – Hors la loi, trilogie documentaire

François Chilowicz 2013, France, 3 fois 80 min

Une voiture de police, la nuit, à Toulouse. Nous assistons en direct à l’interpellation de K. Il vient de se dessaisir d’un tournevis avec lequel, semble-t-il, il forçait des voitures. Le lendemain matin, audition au commissariat central ; l’après-midi, comparution immédiate au Palais de justice : trois mois d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Le condamné est directement conduit au centre pénitentiaire de Seysses, à 25 km de là. Après les formalités d’écrou, nous le suivons jusqu’à la porte de sa cellule. C’est la première fois qu’il va en prison. Trois mois plus tard, K. est transféré vers le Centre de rétention administrative en vue d’une reconduite à la frontière. Une voiture de police, la nuit, à Toulouse. Au petit matin, interpellation de D. et perquisition à son domicile. Il est accusé de tentative de cambriolage et de dégradation en récidive. S’en suit son audition à la gendarmerie et sa garde à vue...

Le film est ainsi rigoureusement construit : une claire juxtaposition des étapes clés de la chaine judiciaire pour six justiciables (des hommes, comme près de 97% des personnes écrouées en France). Chacune des parties de la trilogie insiste plus particulièrement sur un moment de ce parcours : « Entrer en prison », « Rester en prison », « Revenir en prison ». Ni interview, ni commentaire. La caméra, précise et pudique, ne filme jamais le visage des « hors la loi ». Elle les accompagne : « Comme posée sur leur épaule, face à leurs interlocuteurs, elle nous invite à suivre l’intégralité de la procédure telle qu’elle se déroule sous leurs yeux1 ». Et sans doute prête-t-on alors davantage d’attention à la voix – son timbre, son débit, ses intonations –, aux mots choisis, aux silences. Le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation calme ainsi D., 20 ans, alors qu’il s’emballe lors de leur audience :

« – Savez-vous ce qu’est la ponctuation ?
– La ponctualité ? Bien sûr.
– La ponctuation. C’est mettre une petite virgule, un point, une phrase, un point…
– C’est dur monsieur…
– On met le point et on refait le point vendredi. »

Le corps parle aussi. À travers ses gestes, qu’il s’agisse de saisir une cigarette, du relevé des empreintes digitales, de la reconstitution d’un coup de poignard. À travers sa démarche, ses marques : un avant-bras lacéré (Z. : « J’avais pété un câble, je m’étais taillé les veines »), ou cette constatation en consultation médicale : « 51 kg pour 1m80, vous êtes pas épais… »

Aucun angélisme, aucun manichéisme. Le point de vue des victimes n’est pas oublié. Surtout, la complexité de chaque cas est remarquablement restituée : prise de conscience des actes délictueux, de leurs conséquences et de leur signification, nécessité de les expliquer – ce qui n’est pas toujours possible –, négation totale ou reconnaissance assortie d’excuses sincères… François Chilowicz rend bien l’impossibilité de fixer la vérité des actes et des intentions, « travaillant délibérément autour de ces notions de doute et d’incertitude du jugement. (…) Un doute honnête et raisonnable, mais aussi très profond, à l’image du millier de témoignages qui a permis la préparation de ce film. »

Au-delà des procédures policières et judiciaires menant à l’incarcération (détention provisoire ou emprisonnement suite au procès), le film est centré sur la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses. On y découvre un quotidien composé des lignes des couloirs, des grilles, des barreaux et des barbelés, ainsi que du jeu des verrous des différents sas et des lourdes portes à œilleton des cellules. Un quotidien rythmé par la distribution des repas et des médicaments. La « promenade » et la télévision entament à peine un ennui inéluctable (X., 20 ans : « Attendre, on fait qu’attendre »). Le suicide est fréquemment évoqué. La question des liens avec les proches est dès lors cruciale : le seul lien de Z. avec l’extérieur semble être son père, de 70 ans, sans abri tout comme lui. Il demande une permission de sortie, que la commission d’application des peines lui accorde. Aussi imparfaites que puissent être les institutions judiciaires et carcérales visibles ici, elles tentent de prendre en compte des individus. Différentes personnes (la conseillère professionnelle par exemple), démarches (demande de remise en liberté) et aménagements (possibilité de travailler au sein de la prison, commission d’indigence qui procure une modeste aide financière) tentent d’assouplir l’enfermement, de lui donner un sens comme le montre le quartier des courtes peines, comprenant le bâtiment affecté aux programmes de prévention de la récidive. Le fait même qu’une caméra puisse filmer jusqu’au seuil des cellules est en soi un signe encourageant, allant dans le sens de l’amélioration du système pénitentiaire français prévue loi pénitentiaire de 20092.

Fruit de quatre ans de travail, où François Chilowicz est allé chercher « la part de lucidité de chacun (…) dans ce face à face singulier entre justiciables et professionnels de la Justice », ce suivi du parcours de différents condamnés est particulièrement convaincant. Il concourt à améliorer le regard sur les prisons de la République. Par contre, la question au cœur même du film – « À quoi sert la prison ? Ou, comme posée en d’autres termes par le Contrôleur général des prisons, ‘la prison rend-t-elle à la société le service que celle-ci en attend’ ? » – peine à se dégager des points de vue très subjectifs adoptés.

Voir Hors la loi :

Diffusion les 12, 19 et 26 février à 22h30 sur France 2

Voir ici « Entrer en prison », épisode 1, rediffusé sur France2.fr



1 François Chilowicz, « Note d’intention », janvier 2013. Les citations suivantes en proviennent également.

2 « Le système pénitentiaire français », émission « Le bien commun », animée par Antoine Garapon, France Culture, 27/12/2012.

Jean Vettraino
13 février 2013
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