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Film - Expédition Mapaoni. L’inaccessible frontière

Roland Théron 2011, France, 90 min

Qu’est-ce qu’un fleuve amazonien ? Et qu’a-t-il à nous apprendre sur les groupes et les sociétés qui vivent ou ont vécu à ses abords ? Le géographe François-Michel Le Tourneau s’est affronté à ces questions, remontant en août 2011 en pirogue le fleuve Jari, puis son affluent le Mapaoni. Une borne de béton, perdue aux confins du Brésil, de la Guyane française et du Surinam, marquant la tri-frontière, servait à la fois de but et de prétexte à ce parcours qui n’avait pas été effectué depuis 1937.

Le bassin du Jari, affluent de l’Amazone, couvre à peine 1 % de l’Amazonie brésilienne1. Son immensité, bien rendue par les images prises du ciel, est pourtant saisissante, tout comme son isolement, dont témoignent les plaques rouillées du parc national des Montagnes de Tumucumaque (au sein du plus grand ensemble d’aires protégées au monde) gagnées par la végétation. Les méandres du Jari traversent de fait « une zone peu accessible de l’Amazonie brésilienne, qui avait disparu du radar des scientifiques depuis une quarantaine d’années : on ne connaissait ni l’état de l’environnement, ni les transformations intervenues dans la zone depuis la fin des années 1960, ni la portée réelle des éventuelles activités illégales qui y existent2 ».

L’expédition scientifique, minutieusement préparée, a mobilisé vingt participants. Parmi eux, un guide amérindien fin connaisseur du fleuve, neuf piroguiers, deux représentants d’un institut pour la préservation de la biodiversité, trois membres des forces armées brésilienne et deux journalistes cameramen qui ont su capter l’intensité et l’émotion de cette remontée difficile. Les trois pirogues convoyaient 3,5 tonnes de matériel, dont un générateur et 2500 litres d’essence : aucun point de ravitaillement n’existait sur le parcours. Ce dernier est barré de rapides (les embarcations doivent être hâlées à la main), et de « marches », sorte d’énormes chutes d’eau imposant de passer par la terre. Le portage des embarcations et du matériel représente un travail ardu (la pirogue principale, en bois et longue de 14 mètres, pèse, à vide, plusieurs tonnes). Ainsi, le passage des chutes Macacoara (les « chutes du désespoir » disait l’explorateur français Jules Crevaux) est particulièrement impressionnant. Sur le cours supérieur du Mapaoni, ce sont d’autres obstacles, avec les nombreux troncs qui entravent la progression...

Expédition Mapaoni restitue les diverses questions scientifiques abordées. Car il s’agissait d’actualiser la connaissance des fleuves Jari et Mapaoni, non seulement à partir des apports et limites de l’imagerie satellitaire, mais aussi en se référant aux expéditions (françaises, allemandes et brésiliennes) menées aux XIXe et XXe, bien connues de François-Michel Le Tourneau. Dresser la cartographie du peuplement du Jari suppose en effet de faire un travail d’historien et, en un sens, d’anthropologue : « Son histoire et sa configuration actuelle sont à la fois un symbole et un condensé de l’histoire de toute l’Amazonie brésilienne3. » Au fur et à mesure de la remontée, les abords du fleuve se révèlent déserts (hormis la présence de quelques collecteurs de noix isolés). Les villages amérindiens permanents observés en 1971 ont disparu, de même que les grandes voies commerciales. Ce qui n’empêche pas François-Michel Le Tourneau de nous introduire dans la géopolitique indienne extrêmement complexe du XXe siècle. La violence et les maladies amenées par les chasseurs de peaux et les chercheurs d’or brésiliens (garimpeiros) sont en grande partie responsables de cette disparition. Ainsi l’expédition répertorie-t-elle scrupuleusement les impacts de l’orpaillage et nous en apprend beaucoup sur la réalité de cette pratique, relativement tolérée au Brésil. Il y a toute une mythologie du garimpeiro, qui plonge ses racines dans les rêves micacés de l’Eldorado. Découvrant une piste d’orpaillage encore utilisée, une discussion s’engage sur l’utilité de son dynamitage : au géographe français qui affirme qu’en quelques jours le trou sera rebouché, un Brésilien rétorque que cela marque tout de même la présence de l’État. De fait, le problème du contrôle du territoire reste entier, alors qu’au plan environnemental l’orpaillage provoque bien plus de dégâts que la déforestation4. Pour F.-M. Le Tourneau, « l’expédition a aussi été l’occasion pour moi d’en apprendre plus sur les piroguiers, que j’ai recrutés dans une communauté fluviale du bas du fleuve et que je connais depuis plusieurs années. J’ai pu mieux comprendre et admirer leur savoir sur la navigation et partager de nombreuses histoires5 ». La caméra les filme debout à la proue des embarcations, « lisant » l’eau, en repérant les courants et les pierres qui affleurent.

Le documentaire narre, avec clarté et simplicité, la redécouverte d’un affluent de l’Amazone. Très didactique, il permet d’aborder les aspects matériels et humains d’une expédition scientifique contemporaine et de percevoir la complexité des questions de géographie humaine posées par la remontée d’un fleuve oublié.

Il n’y aurait plus rien à découvrir… À rebours de ce lieu commun, nous explorons un espace amazonien évolutif, énigmatique, ouvert.

Voir le film :

Disponible en DVD et en Vidéo à la demande sur Artevod.com



1 Voir l’introduction du très beau livre de François-Michel Le Tourneau et Anna Greissing, Le Jari. Géohistoire d’un grand fleuve amazonien, Pur, 2013, 245 p.

2 « Expédition Mapaoni. L’art de dépasser les frontières » (Entretien avec François-Michel Le Tourneau), La lettre de I’INSHS, janvier 2012.

3 François-Michel Le Tourneau et Anna Greissing, op. cit., p. 6.

4 « Expédition Mapaoni. L’art de dépasser les frontières », op. cit.

5 Ibid.

Jean Vettraino
19 mars 2013
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