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Dictionnaire des relations internationales

Franck Attar

Il faut savoir gré à Frank Attar de s’être engagé dans une œuvre aussi ambitieuse, qui enrichit le panorama éditorial français. Vaste et complexe, le champ des relations internationales est difficile à cerner, et la forme ramassée d’un article de dictionnaire n’est pas toujours la plus adaptée pour en rendre compte. Cette note ne s’attardera pas sur les qualités de cet ouvrage, qui sont évidentes; elle en indiquera plutôt les limites, dont la prise en compte pourrait améliorer de futures rééditions. Pour présenter ce livre foisonnant aux multiples contours, je me référerai à ses tables thématiques (qui suivent celle, alphabétique, d’environ 2 500 entrées) : leur parcours ouvre un accès bien balisé à l’ensemble des thèmes abordés.

Les biographies font l’objet d’un traitement inégalitaire, en volume (de deux lignes à deux pages) comme en qualité. Les figures marquantes de l’Occident y sont généralement bien traitées, ce qui n’est pas le cas de quelques autres – ainsi de Julius Nyerere, premier président de la Tanzanie, largement caricaturé.

Une deuxième table thématique renvoie aux concepts de l’analyse internationale : en ce domaine de sa compétence, l’auteur déploie toute son érudition et toute sa pédagogie. De l’agitprop à l’axe du mal, du génocide au terrorisme, de l’État à l’anarchie, les notions sont présentées avec clarté et précision. D’autres, en revanche, moins familières au droit international, présentent des lacunes ou des contresens surprenants. La religion est du nombre : présentée avec tous les préjugés du monde occidental, notamment français, elle est souvent réduite à ce « fond excommunicateur dont la nature (…) prédispose à la survenue du totalitarisme » et dont les cadres de référence anéantissent « l’espace permettant l’expression de la pensée libre » ! La même inclinaison caractérise le fondamentalisme, nécessairement chrétien et musulman, puisque le fondamentalisme juif exerce « une influence tout à fait marginale dans les relation internationales »… La table suivante traite du droit et (des) instruments juridiques (traités, accords, plans, rapports, etc.), diplomatie ; le lecteur y retrouve les qualités de l’auteur. A signaler la claire distinction des différents niveaux du droit : le droit mondial et son utopie, les différents droits édictés par l’Onu, le droit communautaire ou européen, etc. ; il n’en est que plus regrettable de constater que le « droit des nations » ne soit pas évoqué.

La table thématique Economie et questions environnementales. Questions sanitaires est moins en correspondance avec la perspective d’ensemble de l’ouvrage. Définir le Pib/Pnb et l’ajustement structurel, l’étalon-or, le keynésianisme et le mercantilisme n’est pas inintéressant, mais encombre un livre déjà volumineux. Les deux entrées qui suivent (Evénements et grandes questions internationales de la seconde moitié du XXe siècle, et Géographie et Géopolitique) nous remettent au cœur de la problématique. Les points chauds de l’actualité y sont largement abordés, avec le risque d’être périmés par les événements : l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud sont citées, mais il n’est pas fait mention de l’indépendance unilatéralement octroyée par la Russie après sa guerre contre la Georgie en août 2008. Pour ce qui est de la géographie et de la géopolitique, le bilan est plus mitigé. Traiter Mayotte d’« archipel de l’océan Indien, environ à mi-chemin entre les Comores et Madagascar » est pour le moins inhabituel, d’autant qu’est passé sous silence le déni de droit international que constitue son annexion par la France, en 1975, pour en faire un département français.

Les entrées suivantes agrègent des thèmes aussi vastes que divers : Mouvements et partis politiques, groupes informels, média, etc. Entités institutionnelles et administratives, etc. ; Organisations internationales, leurs démembrements et leur vocabulaire ; Pays et territoires quasi étatiques : Questions européennes ; Questions militaires et stratégiques. Renseignement. L’ampleur de la matière peut excuser bien des oublis. A commencer par celui de l’Alba (Alternative bolivarienne pour les Amériques), créée en 2005 et qui regroupe aujourd’hui neuf pays de ce continent ; ou celui de l’UPM (Union pour la Méditerranée), lancée en juillet 2008. Eu égard à ces absences, celles de la Sadec (Communauté de développement des Etats d’Afrique australe) et du Comesa (Marché commun de l’Afrique orientale et australe) ne sont que broutilles. Ajoutons que les pays d’Afrique, une fois encore, sont bien mal traités. Ainsi, Madagascar est toujours présentée comme une « république démocratique » ayant le franc malgache comme monnaie, mais où l’échec de Ratsiraka (« battu par Ravalomanana » en 2001, ce qui est inexact) aurait entraîné la fin du fihavanana (traduit sans sourciller par « cohabitation harmonieuse ») et la naissance de clivages ethniques ; de même, il est dit que la politique de Ravalomanana (qui a fui le pays après avoir démissionné en faveur d’un directoire militaire le 17 mars 2009) « semble porter ses premiers fruits » ! De la Tanzanie, comment ignorer que Dar es-Salaam n’est plus la capitale depuis trente ans, et que ce pays respecte l’alternance au pouvoir, tous les deux mandats de cinq ans, entre un chrétien et un musulman ? On pourrait multiplier les exemples avec la Côte d’Ivoire, le Soudan, le Burundi et le Rwanda, l’Union africaine, etc.

Enfin, une dernière table est consacrée aux Théories et auteurs. Autant Frank Attar est à l’aise dans l’exposé des théories strictement politiques, autant il manifeste quelques limites lorsqu’il s’aventure sur les terrains de la philosophie et de la morale. Kant et Ibn Khaldun sont évoqués, mais Hegel ignoré. L’unique article consacré à éthique/morale, comme si les deux notions étaient synonymes, témoigne d’une réflexion un peu légère, sinon partiale. La compétence en relations internationales n’implique pas nécessairement la maîtrise des problèmes philosophiques et moraux.

Ce parcours n’a pu que survoler un ouvrage aussi ample que contrasté. Les uns regretteront, au gré de leur compétence ou de leurs préférences, des articles oubliés ou inutiles (devise, hubris, scientisme, leurre, etc.). Les autres estimeront que la personnalisation du politique risque parfois de l’emporter sur l’analyse des questions de fond (Benazir Bhutto prend plus de place le royaume du Bhoutan). Pour ma part, je m’en tiendrai à trois réserves. La première tient à ce que les choix fondamentaux ne sont pas toujours clairs entre l’information immédiate, l’approche historique et l’analyse politique ; certes, l’équilibre est difficile à tenir, mais c’est souvent une seule dimension qui prévaut, selon le sujet traité. La seconde touche à l’insuffisante prise en compte du poids de la culture, cette grande méconnue des relations internationales ; juger des autres sur la base d’une conception unique (pour ne pas dire totalitaire) de la personne humaine, est une réaction universelle, mais particulièrement vive en Occident, ce livre en est le témoin. Et la troisième est liée aux limites humaines : les lacunes soulevées, qui concernent surtout l’Afrique et plus largement l’ancien tiers monde, sont l’inévitable rançon d’une œuvre solitaire. Pour un ouvrage de cette ampleur, il aurait été plus sûr de faire appel à une équipe pluridisciplinaire de chercheurs, plutôt qu’à un seul homme, si compétent soit-il. Pour autant, en dépit des imperfections de cette première édition, l’ouvrage de Frank Attar rendra d’inestimables services à l’étudiant autant qu’au citoyen désireux de se former un jugement en matière de relations internationales.

Sylvain Urfer
6 juin 2012
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