La revue du Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales (Mauss) revient à la source de son inspiration, Karl Polanyi (1886 –1964) célèbre pour son ouvrage La grande transformation (1944) qui militait pour sortir de la société de marché. Plus de trente auteurs contribuent à cette mise à jour de la pensée du maître. Seules les contributions les plus simples sont rassemblées dans cette livraison, les autres sont accessibles sur le site de la revue. Pour Polanyi, la base de la société n’est par l’économie, ce qui le conduit à s’opposer à la fois au marxisme et au libéralisme. La domination de l’économie ne lui semble qu’un moment transitoire de l’histoire humaine ; moment dont l’acmé se cristallise sur la marchandisation de trois institutions humaines qui, tout en n’étant pas produites, sont cependant commercialisées : le travail, la terre et la monnaie. Il y aurait certes beaucoup à nuancer dans cette position originaire de Polanyi, en distinguant notamment, à la suite de Marx, le travail (non produit) de la force de travail (qui se forme et se forge), en séparant conceptuellement l’espace (qui relève de la rente) et la pédologie (objet de science et de technique), enfin en ne confondant pas l’argent (phénomène social) et la monnaie (instrument des échanges). Cependant, la pensée de Polanyi conserve une certaine fécondité. Les travaux immenses d’Alain Caillé en sont la preuve et, pour ne citer qu’une contribution du présent ouvrage, l’article de Madame Dominique Girardot « Devons-nous mériter notre salaire ? » La notion de mérite, en ce qu’elle individualise l’acteur, suppose une division technique du travail qui va rarement sans arbitraire. La critique pertinente où Hannah Arendt fait bon ménage avec Karl Polanyi laisse cependant ouverte la question de la reconnaissance de l’être humain dans sa contribution aux conditions matérielles de la vie sociale. Mais on ne peut reprocher à l’anti-utilitarisme de ne pas avoir réponse à tout.