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Agir dans un monde incertain : essai sur la démocratie technique

Yannick Barthe, Michel Callon et Pierre Lascoumes

Cet ouvrage suggestif traite des rapports entre science et pouvoir, plus précisément de ce que devient la démocratie dans les rapports qui s’établissent aujourd’hui entre science et pouvoir. Il y a encore quelques années, face à des situations difficiles à résoudre, on invitait l’expert à formuler un avis (après une étude approfondie) et on attendait du politique qu’il tranche, c’est-à-dire décide. Cet impersonnel « on » désignait la société qui pratiquait un système de double délégation. La première délégation consistait à confier « à des spécialistes, les scientifiques, le soin de produire des savoirs robustes, des connaissances certifiées » (p. 168). La seconde délégation résidait dans le processus (le scrutin électoral) par lequel les citoyens ordinaires confiaient à leurs élus le soin de constituer le collectif. Nous vivions – et vivons encore – dans cette démocratie délégative, qui ne peut tolérer longtemps l’incertitude : les décisions sont là pour trancher le débat, délimitant par là un « avant » et un « après ».

L’incertitude dans laquelle nous sommes contraints de nous tenir face aux grands débats d’aujourd’hui (tels par exemple l’enfouissement des déchets nucléaires, les thérapies à mettre en œuvre pour le traitement du sida, le développement et l’utilisation des OGM ou encore la reconnaissance des myopathies) nous fait entrer dans un nouveau jeu démocratique. Ces dossiers ne peuvent être traités sans la participation directe des personnes qui se trouvent directement affectées par leurs enjeux. La séparation entre le savant et le bénéficiaire de la science n’est plus pertinente. De son côté, le responsable politique ne peut plus s’estimer établi dans un universel réducteur de toute spécificité ; il doit aider à l’émergence d’un universel constitué de « singularités rendues visibles et audibles ». Tel est l’enseignement que les auteurs retirent des forums hybrides (conférences de consensus ou conférences citoyennes, comme par exemple celle organisée en 1998 en France sur l’usage des organismes génétiquement modifiés en agriculture et dans l’alimentation) : des non-spécialistes sont appelés à se réunir pour réfléchir aux enjeux qui leur sont soumis et émettre un avis. Mais parfois (et cela s’est vu pour les thérapies à mettre en œuvre dans la lutte contre le sida ou pour le traitement des maladies neuromusculaires), ce sont les personnes directement concernées par les sujets abordés qui se sont organisées pour être reconnues comme groupes, s’inviter au débat et donner leur avis. Ce mode de traitement de l’incertitude est une chance pour la démocratie : la « démocratie dialogique » que fait naître le recours aux forums hybrides vient régénérer une démocratie délégative en crise. La thèse est donc claire. Elle est étayée par de nombreux exemples, des analyses fines, ainsi que quelques incises polémiques (que les auteurs relativisent d’eux-mêmes). Cet ouvrage est un précieux lieu de réflexion sur la décision publique dans le monde contemporain.

Antoine Kerhuel
5 juillet 2001
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