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Ces animaux qui nous protègent

Valentine Plessy (illustration) et Marie-Monique Robin Rue de l’échiquier, 2024, 234 p., 39 €

Face aux risques d’extinction, ce livre met en lumière le rôle crucial de chaque espèce dans la biodiversité et les interactions fondamentales entre le vivant et l’humain. Une invitation à mieux comprendre pour agir face à l’urgence écologique.

Ce beau livre offre un panorama complet, argumenté et référencé de la biodiversité actuelle. Véritable régal pour les yeux, l’ouvrage permet au lecteur, au travers de quatre chapitres thématiques, de développer une compréhension globale de la manière dont les humains, les animaux et l’ensemble du vivant interagissent.

L’autrice, ancienne lauréate du prix Albert Londres, fait un état des lieux de la biodiversité et dresse des portraits d’animaux, avant de présenter leur rôle, les menaces qui pourraient mener à l’extinction de certaines espèces et le développement inquiétant d’épidémies et de zoonoses1.

Les dessins de l’illustratrice, initialement réalisés pour le documentaire de Marie-Monique Robin La Fabrique des pandémies, jouent un rôle clef de persuasion dans la rhétorique d’un ouvrage qui souhaite convaincre le lecteur de sa responsabilité et de son pouvoir d’action. En apparence simple d’accès et assez convenu, Ces animaux qui nous protègent se révèle plus complexe qu’il y paraît, offrant différents niveaux de lecture sans nécessiter de connaissances préalables.

La réalité derrière les mots « biodiversité », « écosystème » ou « niche écologique » est plurielle et encore mystérieuse. 

Le lecteur retrouve des encarts thématiques à l’intérieur de chaque chapitre, étayés de définitions et de focus sur certains écosystèmes. Ces rappels sont les bienvenus ; la définition de la biodiversité très détaillée réunit à elle seule l’ensemble des enjeux de l’ouvrage : « En 1985, le biologiste Walter Rosen la contracte en “biodiversité”, dont il distingue trois niveaux interdépendants : la diversité des écosystèmes (océans, forêts, prairies), la diversité des espèces (animales, végétales ou microbiennes) et la diversité génétique des individus au sein d’une même espèce. »

La définition d’un écosystème, qui réunit un biotope et une biocénose (le territoire et les organismes vivants) souligne la spécificité de chaque écosystème et réactualise un terme qui sonne souvent creux à force d’être utilisé. Car la réalité derrière les mots « biodiversité », « écosystème » ou « niche écologique » est plurielle et encore mystérieuse : il resterait environ 8 millions d’espèces à découvrir, dont 70 % d’insectes.

Le rôle disséminateur des oiseaux est mis en valeur au travers de l’exemple haut en couleur du toucan, qui gobe en entier les fruits dont il se nourrit, et rejette un grand nombre de graines, ce qui favorise leur dispersion. On (re)découvre en outre que le plancton absorbe 30 % du CO2 émis par les humains. Le lecteur rencontre au fil des pages des espèces méconnues telles que les chrironomes, des insectes qui servent de bioindicateurs aux scientifiques.

Chaque déséquilibre introduit dans un écosystème favorise le développement d’espèces invasives.

L’ouvrage montre aussi comment certaines de nos interactions avec les animaux peuvent nuire à l’équilibre de la biodiversité. Or, chaque déséquilibre introduit dans un écosystème favorise le développement d’espèces invasives, l’une des causes de l’extinction de la biodiversité. L’ouvrage n’en devient cependant pas manichéen et insiste bien sur le fait qu’aucune espèce n’est en soi mauvaise, mais que c’est ce déséquilibre causé par l’être humain qui est dangereux.

Ces portraits d’animaux accompagnent des focus sur des zones géographiques et leur écosystème particulier. Si les passages d’une zone du globe à l’autre sont parfois difficiles à suivre, les focus permettent d’appréhender toute la richesse d’écosystèmes comme Madagascar, où des milliers d’espèces endémiques se sont développées suite à sa séparation de l’Afrique il y a 120 millions d’années et où on retrouve des forêts primaires, des chaînes de montagnes, des récifs coraliens, etc.

L’aspect didactique de l’ouvrage se manifeste dans la manière dont l’autrice pointe du doigt l’activité industrielle et ses excès. Reconnue comme la source de la sixième extinction de masse des espèces, celle-ci a conduit à la disparition de 30 % de la population des oiseaux. L’agriculture intensive les prive des insectes dont ils se nourrissent et des espaces boisés où ils installent leurs nids.

Les préjugés et les actions des êtres humains pour se prémunir d’espèces qu’il juge nuisibles peuvent lui nuire sur le long terme.

L’élevage industriel menace d’extinction 30 % des races d’animaux domestiques, tels que les poulets, les cochons et les vaches, pour ne privilégier que les races à haut rendement. Tout est lié : la diminution de la biodiversité augmente le risque infectieux et conduit à des ponts épidémiologiques entre les animaux et les humains, voire au développement de zoonoses.

Ce beau livre déconstruit les idées reçues, et contribue ainsi à changer les mentalités. Le terme de « nuisible » est révélateur de la mauvaise presse de certains animaux ou végétaux. Or, ces derniers sont essentiels à la biodiversité. Les préjugés et les actions des êtres humains pour se prémunir d’espèces qu’il juge nuisibles peuvent lui nuire sur le long terme.

Les superprédateurs comme le loup gris sont ainsi souvent chassés alors que leur faible taux de reproduction limite déjà leur densité dans un territoire et qu’ils jouent un rôle clef dans la biodiversité en régulant la population des autres espèces et en réduisant la propagation des maladies. Leur disparition peut ainsi mener à la prolifération d’espèces qui deviennent alors invasives, rompant l’équilibre d’un écosystème.

Instruire, déconstruire, reconstruire : tels sont les objectifs de ce beau livre surprenant qui souhaite éviter « l’amnésie de la biodiversité ».

Le sujet du rôle écologique de certains animaux dans la gestion des déchets est expliqué avec pédagogie et en s’appuyant sur des références scientifiques nombreuses. Oiseaux nécrophages, détrivores comme les vers de terre ou encore rats bruns : tous contribuent à nettoyer les écosystèmes, et leur disparition est source de perturbations. Les 3,8 millions de rats bruns parisiens dévorent ainsi 34 000 tonnes de détritus par an : une utilité indéniable qui reste à nuancer en raison de son rôle de vecteur ou « réserve » dans la transmission de maladies à l’humain.

Instruire, déconstruire, reconstruire : tels sont les objectifs de ce beau livre surprenant qui souhaite éviter « l’amnésie de la biodiversité », « car on ne protège bien que ce que l’on connaît et que l’on aime ». L’ouvrage agit comme un révélateur qui donne du sens à des actions qui semblent sinon parfois vaines ou abstraites.

Veiller à consommer des aliments n’étant pas passés par les circuits de l’agriculture intensive prend tout son sens lorsqu’on comprend que cette même agriculture détruit des espèces animales et végétales. Limiter sa consommation de papier ou d’huile de palme n’a plus la même signification lorsqu’on a conscience de l’influence de la déforestation sur la santé des animaux, des écosystèmes, des êtres humains et de la planète. Un plaidoyer engagé qui permet de bâtir des convictions sur des bases solides pour encourager l’action individuelle.

1  Maladie infectieuse qui est passée de l'animal à l'humain.

Irène Rodriguez
27 mai 2025
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