Comment verser de l’argent aux pauvres ? Dépasser les dilemmes de la justice sociale
Guillaume Allègre Puf, 2024, 300 p., 18 €Dans cet ouvrage, Guillaume Allègre analyse les questions posées par les politiques publiques de lutte contre la pauvreté et leurs dilemmes en termes de justice et de droits.
Comment verser de l’argent aux pauvres ? La question posée par Guillaume Allègre, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE-Sciences Po), n’est pas rhétorique. L’objet de l’ouvrage est avant tout d’en dénouer les enjeux et d’interroger la position de conseiller politique que l’on peut attribuer à un économiste.
Divers rôles sont rappelés : l’économiste plombier (expérimentations de politiques publiques répondant à un enjeu localisé), l’économiste ingénieur (optimisation du bien-être d’une large population) et l’économiste philosophe (réflexion sur le juste et les normes guidant la législation). Les premiers répondent à des problèmes locaux et théoriques : comment faire ? Les derniers répondent à des questions normatives : que faire et pourquoi ? En pratique, il n’est pas évident de démêler le rôle et la position de chacun.
À force d’avoir normalisé les sciences économiques – de les avoir rendues, dans les esprits, plus proches des sciences naturelles que des autres sciences sociales –, on suppose désormais qu’un économiste peut éclairer la décision politique de manière « neutre » et trancher sur la meilleure politique possible. Or chacun des courants de pensée de l’économie est caractérisé par sa manière de problématiser, d’étudier et de répondre à un sujet.
Il faut avant tout se demander dans quelle mesure une politique de lutte contre la pauvreté est juste.
L’ambition de l’ouvrage est d’identifier une série de questions posées par la mise en place de minima sociaux, de développer les réponses possibles ainsi que leurs raisons. Avant de se demander comment mettre en œuvre une politique publique, il faut d’abord se demander : dans quelle mesure une politique de lutte contre la pauvreté est-elle juste ? Est-ce par le mérite ? L’égalité ? Le besoin ?
Selon la norme de justice privilégiée, les propositions de déploiement de politiques publiques peuvent être très différentes et les dilemmes multiples. Doit-on mettre en œuvre un revenu universel ? Le RSA doit-il être inconditionnel ? Individualiser le versement des prestations est-il souhaitable ? Les jeunes adultes doivent-ils bénéficier des minima sociaux ? Si G. Allègre ne masque pas son opinion personnelle, il montre qu’apporter une réponse à chacune de ces questions n’est jamais évident.
Prenons pour exemple une série de questions : quel montant est-il juste d’attribuer aux pauvres ? Un revenu minimum doit-il privilégier la redistribution ou l’incitation à la reprise d’un emploi ? Doit-on préférer l’efficacité à l’égalité ? Avec pour objectif premier la lutte contre la pauvreté, l’un des principaux enjeux politiques des minima sociaux est de déterminer leur montant.
La Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) estime à 60 % la part de bénéficiaires des minima sociaux en 2018 situés en dessous du seuil de pauvreté monétaire. Elle montre qu’en 2019 les prestations contributives (prestations familiales, aides au logement, minima sociaux, prime d’activité et Garantie jeunes) diminuent le taux de pauvreté national de 7,6 points. Mais pourquoi l’objectif de sortie de la pauvreté est-il atteint pour certains individus et non pour d’autres ?
Différentes études révèlent que les revenus de base ont un faible effet désincitatif sur l’emploi.
Cela s’explique, d’une part, par les caractéristiques des bénéficiaires de ces prestations (revenus avant redistribution, âge, composition du ménage…) et, d’autre part, par le traitement politique de ces caractéristiques. G. Allègre remarque que le montant des minima sociaux augmente avec l’âge : les 18-24 ans en sont majoritairement exclus, les 26-65 ans ont le droit au RSA, les plus de 65 ans à l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa).
Or le montant de l’Aspa correspond à 1,6 fois celui du RSA et ses bénéficiaires sont plus souvent propriétaires de leur logement. L’auteur conclut : « Les dates de création de ces quatre principaux minima sociaux – et leur montant – donnent une indication sur le “mérite” que la société accorde aux pauvres, en termes de légitimité à percevoir une allocation. En ce sens, les plus “méritants” sont les personnes âgées, puis handicapées, puis chômeurs et enfin inactifs [sic]. »
L’argument majeur opposé à la revalorisation du RSA vient de la crainte que les allocataires ne désertent le marché de l’emploi. Or G. Allègre montrait déjà dans un article de 2008 que les différentes études révèlent que les revenus de base ont un faible effet désincitatif sur l’emploi – quand bien même l’objectif de l’étude était de démontrer l’existence de cet effet. Pourtant, le débat public a focalisé son attention sur les effets négatifs sur l’emploi, aussi faibles soient-ils.
Généralement, les études montrent que les incitations financières au retour à l’emploi jouent peu pour les femmes seules et pour les hommes. Si les femmes avec enfants réagissent plus aux incitations financières, le retour à l’emploi est plus coûteux pour elles, soulignant la nécessité de politiques publiques complémentaires (garde d’enfant, aides à la mobilité).
Avec Comment verser de l’argent aux pauvres ?, G. Allègre ne cherche pas à produire un programme politique sous la forme d’une réponse toute faite. Il préfère partager à son lectorat les questions et dilemmes qui apparaissent quand on souhaite agir politiquement sur la pauvreté ainsi que leurs principales clés de compréhension.
18 novembre 2024