Théologien et historien des sciences, Jacques Arnould a aussi été prêtre, cheminant notamment auprès de femmes qui se prostituaient. Il revient ici sur son parcours atypique.
Le terme est autant suranné qu’insultant : un prêtre « défroqué ». Mais résumer Jacques Arnould à ce quolibet facile serait masquer le cheminement de cet homme, qui a navigué dans bien des sphères, célestes comme terrestres. Il a accompagné parias, exclus et recluses, mais sans jamais être seul. Car Jacques avait toujours à ses côtés Celui avec lequel il chemine encore aujourd’hui : le Nazaréen.
Car derrière les vocables que l’on donne pour mieux mépriser, il y a des personnes. Et celles-ci ne se réduisent pas à leurs choix de vie, ou parfois aux non-choix qu’ils ou elles ont dû faire pour survivre. Il faut aussi comprendre leur chemin, en le partageant. Ainsi, En vérité est un témoignage de vie, sous forme d’une conversation à cœurs ouverts et sans tabou entre Jacques Arnould, ex-prêtre dominicain ayant rompu ses vœux, et Théo Moy, journaliste et ami du premier.
Jacques Arnould est ingénieur agronome forestier. Il a intégré l’Ordre des Prêcheurs sous l’égide duquel il a œuvré pendant une vingtaine d’années. Outre sa vie au couvent, dont il a été prieur, Jacques Arnould a aussi vécu celle de prêtre tout-terrain, c’est-à-dire de compagnon de route de deux communautés dont la bienséance voudrait que tout sépare : les prostituées de Paris et les ingénieurs du Centre national d’études spatiales (Cnes).
Une séparation un peu arbitraire car les premières peuvent très bien gérer des affaires et les seconds se livrer, parfois, à des trahisons de péripatéticienne. Théologien et historien des sciences, Jacques Arnould est le premier conseiller en éthique spatiale auprès du Cnes. Qu’on me pardonne ce blasphème, mais Dieu sait combien ce vaste trottoir qui s’étend au-delà de l’atmosphère est le cadre d’une lutte entre des tyrans qui n’ont rien à envier aux proxénètes de la rue Saint-Denis à Paris.
Autrefois prêtre et dominicain, Jacques Arnould s’enracine dans la terre pour mieux s’élever vers le ciel et en collecter la lumière.
Que de lieux où œuvrer pour ce frère qui, comme ses chers arbres, s’enracine dans la terre pour mieux s’élever vers le ciel et en collecter la lumière. Écrivain et parfois consultant, il rapproche aussi science et foi. Intègre comme un tronc sylvestre, l’ancien frère quitte la prêtrise avec honnêteté et courage, quand il sent que son amour pour sa compagne le met en porte-à-faux de son vœu.
Il se livre au cours des pages, avec simplicité et humilité, sans tomber dans l’orgueil que cette position d’interviewé aurait pu lui conférer. Le témoignage aborde de nombreux thèmes, au travers des questions de Théo Moy. Ce dernier a choisi de les regrouper en cinq verbes – choisir, croire, explorer, lier et célébrer – et une locution dominicaine d’ouverture : « Usque ad mortem », littéralement : à la mort. Cette dernière prend tout sens dans la proclamation finale, profession de foi renouvelée qui met en cohérence le personnage et son cheminement.
« Choisir » traite des vœux, ceux que l’on prononce pour entrer dans un ordre, tout d’abord, puis que l’on doit rompre pour vivre ceux d’un autre engagement amoureux. « Croire » aborde le cheminement du croyant, individualité qui pousse dans la forêt de ses communautés : la famille, les frères, les gens qui se passionnent pour l’exploration des corps célestes et ceux qui subissent l’exploitation des corps humains.
Jacques y aborde les rapports complexes entre science et foi, deux chemins de vérité d’immanence et de transcendance. Il alerte au passage sur le danger du mauvais mélange des genres, comme celui réalisé par les courants créationnistes. Jacques Arnould ne craint pas de bousculer, en nous expliquant pourquoi la foi est selon lui fondamentalement une transgression. L’arbre qui doit pousser doit également se frayer un chemin à travers la brume.
Jacques Arnould questionne le sens profond qu’il convient d’accorder à la fonction sacerdotale dans le monde d’aujourd’hui.
« Explorer » nous emmène dans l’action tout-terrain de ce croyant polymathe, mais pas protéiforme. Il se raconte, entre le couvent et le travail, sur des trottoirs différents et surprenants, mais bordant chacun à leur façon les voieries impénétrables de l’infini. Si sa foi et sa prière sont sa torche et son huile, la vérité et la charité sont ses habits d’explorateur.
« Lier » tisse les relations de sa forêt, composée d’autant de frères, de sœurs, des aînés comme des cadets, et de « quelques autres êtres vivants ». Des liens qu’aucun vœu et qu’aucun affranchissement ne sauraient rompre. Des fils de vérité et d’amour.
« Célébrer » aborde le rôle du prêtre, du sens de la communion à l’ordination des femmes. Le ton y paraît parfois provocateur, car Jacques Arnould questionne les traditions et le sens profond qu’il convient d’accorder à la fonction sacerdotale dans le monde d’aujourd’hui.
Dans notre société polarisée, où Dieu est encore et toujours instrumentalisé pour déchaîner et justifier les plus viles passions, il prône un chemin chrétien d’accompagnement des brebis par un chevreau, une attitude bienveillante face à l’errance, mais méfiante envers l’absolutisme.
Jacques Arnould et Théo Moy abordent avec franchise la perte des vocations cléricales et le danger de considérer ceux qui y rentrent encore comme des super-héros. Ou des parias. Des réflexions précieuses, au regard du parcours qui a amené cet homme du couvent à la vie de couple, à travers tous les paysages.
L’arbre continue à grandir et à répandre ses précieuses graines, même s’il a changé d’écorce.
Dans ce livre, on retrouve des thèmes personnels, comme la rupture des vœux et la nostalgie de ses frères de cœur, mais aussi cet engagement amoureux que le couple entend vivre au grand jour et en toute conviction. Des thèmes institutionnels, comme la place du prêtre dans la société et, bien entendu, la question du célibat des prêtres, caractéristique de l’organisation de l’Église catholique et que, pourtant, Jacques Arnould ne reniera point. Des fondamentaux, comme ceux de sa foi confiante dans le Christ, bienveillante et patiente envers ses contemporains.
Sans jugement, ni solution miracle, il nous offre ce que son expérience a pu lui recommander sur l’Église de notre temps. Et ses aspirations. Sa conviction et son indéfectible attachement à sa foi catholique et à son Église. On peut troquer la soutane contre une cravate, changer l’emballage, on ne change pas la qualité du fruit que la sève a patiemment nourri.
Car la délivrance de ses vœux ne transforme pas le personnage interrogé : jusque dans la mort, nous annonce-t-il, il restera au fond cet homme pluriel, cet arbre aux multiples racines et aux nombreuses branches, tout entières vouées au partage de la lumière.
À lire ce témoignage, le mécréant que je suis s’est parfois étonné de la gravité avec laquelle Théo Moy présentait certains enjeux. Sans jugement de ma part, je sous-estimais sincèrement l’importance accordée par mes contemporains, plus fidèles que moi, à certaines questions, comme celle du célibat des prêtres. Je les ai lues et je les ai entendues, même si parfois j’ai eu du mal à en apprécier toute la gravité. Je suis inquiet car ces questions, certes pertinentes, occasionnent du dégât humain, de l’amertume ou de la souffrance. Et le risque d’une séparation.
Que l’on se rassure, Jacques Arnould est en paix et son œuvre n’est pas achevée. C’est diaphane, tout au long du livre : l’arbre continue à grandir et à répandre ses précieuses graines, même s’il a changé d’écorce. Même s’il pousse à présent en cépée, avec un autre tronc voltigeur, dénommé Catherine.
En vérité, Jacques Arnould n’a renoncé à rien, semble-t-il, et la forêt de son Église a accueilli sa nouvelle ramure avec reconnaissance, respect et bienveillance. Car, enfin, qui lui jetterait la première pierre : s’éloigne-t-on vraiment de Dieu quand on s’aime les uns les autres ?
25 novembre 2024