À l’heure de la crise écologique, comment institutionnaliser les politiques de sobriété ? C’est à cette question cruciale que s’attelle Bruno Villalba dans un essai aussi dynamique qu’érudit.
Ce voyage au pays des politiques de la sobriété nous emmène au plus profond de nos aspirations, au détour d’un panorama des traditions spirituelles. Bruno Villalba se ressource dans les fondamentaux écologistes (Ellul, Charbonneau, Illich, Gorz…), y puisant des citations rafraîchissantes. Pour l’auteur, la sobriété est d’abord une affaire de limites et celles-ci sont de trois ordres : planétaires, mais également temporelles et cognitives.
Devant ces limites, il s’attache à déconstruire la fuite en avant que constitue le technosolutionnisme, à travers une approche conséquentialiste (focalisation sur les conséquences des choix politiques). À une sobriété édulcorée, compatible avec la religion de l’abondance, il oppose une sobriété comme « mesure de la limite ».
Traquant le superflu, elle permet de renouer avec les impasses du « manque de manque » (Günther Anders). Cette sobriété impose un renoncement qu’on peut expérimenter à titre individuel. L’auteur intègre des anecdotes personnelles, notamment sur la consommation de viande, mais qu’il s’agit surtout de traduire à un plan structurel : un nouveau récit est nécessairement convoqué par une sobriété bien pensée.
La sobriété ne repose pas uniquement sur des politiques socialement justes : elles doivent être mises en débat sur des bases saines.
L’ouvrage ne fait pas l’impasse sur les conditions sociales de la sobriété, appelant à une « égalité de renoncement » en même temps qu’à une forte redistribution. L’enjeu du pouvoir d’achat, pierre d’achoppement des discours écologistes, y est courageusement disséqué. La sobriété rime alors avec l’éloge d’une société décente, dans un monde où le suffisant peut devenir une matrice plus solide que le consumérisme. Ce faisant, l’auteur n’oublie pas (il y consacre un chapitre entier) la promesse d’émancipation, ou d’autonomie individuelle, qui ne doit jamais être oubliée par nos représentants.
Mais institutionnaliser la sobriété ne repose pas uniquement sur des politiques socialement justes : elles doivent être mises en débat sur des bases saines. Ainsi les politiques telles que la carte carbone ou le rationnement sont-elles discutées, sans omettre leurs aspérités, avec comme principale recommandation qu’on les mette en débat. On pourra reprocher à Bruno Villalba de ne pas nous livrer une politique « clé en main ». Mais était-ce une attente raisonnable ? L’auteur appelle plutôt à un mix de politiques de sobriété, tantôt contraignantes, tantôt incitatives.
Au fil de l’ouvrage, on comprend que la sobriété est en réalité « une politique du seuil » : d’un côté, les apories de l’abondance, de l’autre, le spectre de l’effondrement. Une politique indispensable donc, n’en déplaise aux contempteurs de la croissance verte.
Malgré sa robustesse (la sobriété ne se comptant visiblement pas en pages), l’ouvrage est accessible. Les lecteurs pressés pourront puiser dans les chapitres qui les intéressent, les autres pourront savourer la profondeur des auteurs qui y sont convoqués.
24 septembre 2024