« Un boulot de dingue » Reconnaître les contributions vitales à la société
Aequitaz et Secours Catholique - Caritas France Rapport, 2023, 52 p., en ligne.Le dernier rapport du Secours catholique, « Un boulot de dingue ! » démontre que les personnes réputées « inactives » sont non seulement actives, mais essentielles à la société.
Avec le rapport « Un boulot de dingue. Reconnaître les contributions vitales à la société », publié par le Secours Catholique et AequitaZ, nous affirmons que, même si l’on est considéré statistiquement comme « inactif », même si l’on est sans emploi, on exécute en réalité beaucoup de tâches importantes, pour nous, pour nos proches et pour la société.
On aide un parent âgé ou un conjoint malade, on élève ses enfants, on cherche les moyens de faire en sorte qu’ils ne subissent pas les conséquences de la pauvreté, on règle des problèmes administratifs pour soi ou pour des proches, on s’engage dans une association comme bénévole. Ces activités sont non seulement utiles, mais essentielles et vitales pour la société. La crise du Covid-19 l’a montré.
Contrairement à ce que l’exigence d’autonomie pourrait faire penser, c’est l’interdépendance qui est au cœur de nos vies. Nul n’est parfaitement autonome, et c’est une bonne nouvelle : cela veut dire que la solidarité n’est pas une option, mais une nécessité.
Toutes les activités utiles, non reconnues et non rémunérées, dessinent une forme de protection sociale de proximité.
Avec des personnes privées d’emploi, le Secours catholique a fait un inventaire des activités de cette vie hors emploi, mais bien remplie. Trois catégories d’activités se dégagent : celles qui relèvent du « prendre soin » (de soi, des autres, de sa famille, de son cercle élargi, avec des solidarités de voisinage et le soin du vivant), celles qui sont plutôt de l’ordre de produire pour soi (autosubsistance et autoproduction), et celles qui relèvent du sens (avoir des activités qui donnent du sens à notre vie).
Mais ces activités sont gratuites et, de ce fait, trop souvent invisibles ou, en tous cas, invisibilisées. Toutes les activités utiles, non reconnues et non rémunérées, que nous avons listées dessinent une forme de protection sociale de proximité. Malheureusement, notre société ne sait pas reconnaître cette « protection » rapprochée, alors que, sans elle, bien des choses s’écrouleraient.
Méritocratie dévoyée
Le travail-emploi est un pilier central pour notre société et la clé de voûte historique de notre système de protection sociale. Mais aujourd’hui, les attaques menées contre les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) illustrent un phénomène inquiétant : de nombreux responsables politiques cherchent à rendre les pauvres coupables de leur situation de pauvreté.
Le RSA, avec la nouvelle loi dite pour le « plein emploi », devient une allocation versée sous conditions, si l’allocataire a réussi son « parcours du combattant » : remplir correctement son dossier, l’actualiser dans les temps et de façon complète, chercher du travail, engranger des preuves de cette recherche, effectuer bientôt 15 heures d’activité par semaine (en plus de tout ce qu’il y a déjà à faire pour survivre), etc.
Les personnes vivent alors avec une triple peine : celle de la pauvreté et de l’insécurité, celle des préjugés stigmatisants auxquels il faut faire face, et celle du risque de devoir consacrer moins de temps aux activités importantes pour elles, pour répondre aux injonctions de l’administration.
La méritocratie stigmatise les plus pauvres, accusés de ne pas « traverser la rue ».
Cet acharnement contre les plus pauvres, qui peut mener à la radiation de nombreux allocataires du RSA, est une façon de justifier les inégalités grandissantes. C’est le principe de la méritocratie. Pour rendre acceptables les revenus des plus riches, il faut pouvoir faire croire qu’ils sont mérités.
Et pour ancrer cette idée, il faut aussi, symétriquement, que la situation des plus pauvres soit décrite comme « méritée ». La méritocratie stigmatise les plus pauvres, accusés de ne pas « traverser la rue », comme s’il était facile d’être recruté quand la vie nous a privé d’emploi depuis des années.
De ce rapport, nous retirons une conviction : il faut aujourd’hui élargir la protection sociale, historiquement construite autour du travail-emploi, à l’ensemble du spectre des activités utiles ou vitales, afin de les faire gagner en reconnaissance et en droits.
C’est donc pour le Secours catholique et d’autres associations une invitation à changer de perspective et à interroger notre modèle social : comment reconnaître le caractère essentiel d’un grand nombre d’activités exercées hors emploi et sécuriser celles et ceux qui les réalisent ?
Des dispositifs visent à donner de la valeur et à sécuriser ce travail invisible.
Bonne nouvelle : des pistes existent. Des dispositifs visent déjà à donner de la valeur et à sécuriser ce travail invisible, que ce soit le statut d’aidant familial, de pompier volontaire ou de juré d’assise, ou encore la reconnaissance par des trimestres de retraite de l’importance de l’éducation des enfants.
Ces dispositifs pourraient servir de point d’appui pour penser de nouveaux droits et esquissent des voies de reconnaissance financière, symbolique ou en termes de droits sociaux, qui sont à approfondir et à élargir.
Au fond, nous souhaitons ainsi alimenter le débat public sur la place du travail hors emploi dans notre modèle social, en montrant que chacun et chacune apporte une pierre importante à la société. Cet enjeu doit faire l’objet d’un débat démocratique, tant sur le plan local que national, afin qu’émergent des expérimentations de nouveaux modes de reconnaissance des activités vitales pour la société. Apprenons à mieux compter ce qui compte vraiment.
20 mai 2024