Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

Un pas de côté Les quatre saisons d’un énarque en communauté avec les plus démunis

Stéphane Roux Coll. Fidélité, Éditions jésuites, 2022, 235 p,

Haut fonctionnaire, Stéphane Roux restitue dans cet ouvrage la conversion personnelle et spirituelle vécue lors d’une année sabbatique de vie paysanne au sein de la communauté jésuite lozérienne de La Viale.

L’actualité offre de nombreux témoignages de jeunes professionnels issus de grandes écoles qui choisissent d’entrée de jeu de renoncer aux carrières classiques, refusant de servir un système économique « toxique ». Celui de Stéphane Roux relève de la même radicalité. L’auteur l’applique non au « système », auquel il n’entend pas échapper, mais à sa propre conduite, à sa manière de vivre ici et maintenant les responsabilités qu’il exerce dans la haute fonction publique.

Le « pas de côté » dont il rend compte l’écarte, le temps d’une année sabbatique, d’une carrière brillante et promise à l’être plus encore. Pourquoi prendre un tel risque ? Était-ce une insatisfaction secrète ? Le sentiment de vivre dans les conventions d’une vie honorable, mais superficielle à force de non-dits ?

En relisant son journal plus d’un an plus tard, Stéphane Roux réalise, au terme d’un discernement tout ignatien, que sa démarche répondait à un appel spirituel. Il ne pouvait donc faire moins que de rendre compte de cette aventure spirituelle qui a bouleversé sa vie et celle de sa famille : non pour les retirer du monde, mais pour y vivre en plénitude.

Le village de La Viale où a eu lieu cette aventure est né de l’initiative de quelques jésuites belges dans les années 1950. Les Compagnons de la Province belge francophone, aujourd’hui fusionnée avec la Province française, aiment à dire que leur façon à eux d’être jésuites est beaucoup plus concrète, plus incarnée que la manière française.

L’énarque qu’était et reste Stéphane Roux s’est laissé transformer de l’intérieur par la démarche de La Viale.

La Viale est un bon exemple de cet état d’esprit qui transparaît dans le témoignage de Stéphane Roux. L’énarque qu’il était et reste s’est laissé transformer de l’intérieur par la démarche de La Viale. Elle conjugue, dans le lent déroulement d’une vie campagnarde, les heures de travail manuel, les temps journaliers de prière et le dialogue déroutant, décapant, mais profondément réconfortant avec les personnes pauvres réfugiées en ces lieux.

Les lecteurs rompus aux exercices spirituels (la manière de prier proposée par saint Ignace de Loyola, fondateur des jésuites) trouveront dans le témoignage de Stéphane Roux l’écho d’une expérience parfois lointaine et pourtant décisive. Mais ce qui rend ce témoignage précieux tient à la singularité de son caractère et de sa situation ici et maintenant. Élevé dans une famille pieuse qu’il qualifie volontiers de bourgeoise et aristocratique, Stéphane Roux se sait conditionné par une exigence pressante d’excellence, d’efficacité et de réussite élitiste dont il n’est pas aisé de se dépouiller complètement.

L’auteur réussit à surmonter ce piège, d’abord en le nommant puis en s’abandonnant à un amour qui le submerge et le libère finalement de la tâche impossible de prendre sur lui, en bon énarque, tous les malheurs du monde. « Il ne faut pas vouloir toujours faire plus ; faire sa part et laisser à Dieu le soin de faire le reste. À Lui de transformer et de compléter mon travail. » Stéphane Roux peut alors faire sienne la définition d’Adrien Candiard : « L’Espérance, c’est la promesse de sa présence. C’est-à-dire la vie éternelle en Dieu. »

L’auteur éprouve qu’il s’agit moins de donner un sens à sa vie que de le recevoir dans la confiance en Dieu.

Ayant accompli cette expérience spirituelle, ayant éprouvé qu’il s’agit moins de donner un sens à sa vie que de recevoir ce sens dans la confiance en l’amour divin, l’auteur peut considérer d’un œil complètement neuf son engagement professionnel au cœur de la vie publique. S’ensuivent alors de très belles pages sur le registre peu exploré de l’éthique du service public.

Stéphane Roux les consacre d’abord à son cœur de métier, ce qu’il nomme aussi la charge d’âmes, c’est-à-dire la responsabilité de diriger des unités administratives comptant plusieurs milliers d’agents où il peut puiser dans l’expérience d’humanité vécue à La Viale.

Il transpose cette même expérience dans la mise en œuvre de la loi républicaine soulignant qu’entre la loi et les citoyens qu’elle concerne se déploie toujours un espace de liberté, c’est-à-dire d’appréciation des cas individuels « où le seul critère est celui de l’amour ».

Aujourd’hui Stéphane Roux exerce de nouveau des responsabilités importantes dans l’administration. Sa conversion spirituelle ne lui aura épargné ni les critiques, ni les doutes, ni les épreuves attachées à ses fonctions. Une chose est sûre : il a réalisé à La Viale quelle dimension de souffrance et d’indifférence à la souffrance d’autrui se cachait au cœur de la crise emblématique des Gilets jaunes. Il saura en affronter de nouvelles avec sagesse. 

L’équipe de rédaction
29 mai 2023
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules