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Rationalité Ce qu’est la pensée rationnelle et pourquoi nous en avons plus que jamais besoin

Steven Pinker Les Arènes, 2021, 434 p., 23,90 €.

Censément rationnel, l’être humain reste soumis aux croyances fausses, voire dangereuses. Un paradoxe qui tient à l’irréductibilité de la raison à la logique, rappelle le psychologue nord-américain Steven Pinker.

Étrange livre que ce gros ouvrage qui ne répond pas à son titre, du moins si l’on pense que la pensée rationnelle s’inscrit dans la tradition philosophique. Dans un style très accessible, familier et souvent drôle, l’auteur se rend attentif à tous les biais auxquels nos jugements peuvent être soumis à partir d’analyses statistiques.

La question qui lui sert de point de départ est des plus sérieuses et politiquement décisive : comment comprendre que la rationalité, qui est la prérogative innée des humains, soit si fréquemment et manifestement bafouée ?

La définition donnée à la raison (et donc à la rationalité, qui en constitue l’exercice), en décalage avec la culture philosophique, la restreint à sa dimension purement instrumentale : « Voulez-vous quelque chose ou non ? Si oui, la rationalité est ce qui vous permet de l’obtenir. » Même sur cette base très mince, elle est suffisamment complexe pour accoucher d’un grand nombre de cas, méticuleusement épluchés.

Deux milliards d’êtres humains restent persuadés que s’ils ne croient pas en Jésus Christ, ils iront en enfer.

De l’exercice de la raison ainsi comprise, on peut attendre non pas qu’elle puisse décider en matière de morale, tout juste qu’elle exige que, sous peine de renoncer à mes propres argumentations, je ne puisse pas faire valoir qu’une cause puisse l’emporter simplement parce qu’elle m’est favorable. De la même façon, la logique n’a pas accès à mes croyances. Elle peut néanmoins révéler que si j’admets des croyances contradictoires, mon propre système logique devient inconsistant.

Ce monde des croyances abrite, on en conviendra, de nombreux paralogismes dont l’un des plus fréquents consiste à réduire la thèse de l’adversaire à une caricature bien plus facile à réfuter que sa véritable position. Sans sourciller, Steven Pinker met aussitôt en œuvre le paralogisme qu’il vient de dénoncer en réduisant la croyance en Dieu au simple fait qu’on ne puisse pas démontrer son inexistence.

Comme disait le mathématicien Bertrand Russell, personne ne peut non plus prouver qu’une théière en porcelaine ne gravite pas entre la Terre et Mars. Autre absurdité largement partagée : deux milliards d’êtres humains restent persuadés que s’ils ne croient pas en Jésus Christ, ils iront en enfer.

Rationalité pauvre

Plus sérieusement, jamais la rationalité ne saurait être réduite à la simple logique. Nos vies se déroulent dans l’aléatoire et l’incertitude de nos connaissances. Ce sont alors les probabilités, demeurant dans le champ d’une rationalité pauvre, qui sont interrogées comme étant la clef de nos comportements.

Notre rapport aux probabilités est constamment biaisé, faute d’être ramenées aux fréquences réelles du phénomène que nous interrogeons : nous pensons que l’avion est plus dangereux que l’automobile parce que nous n’évoquons pas la fréquence totale des accidents aériens ou routiers.

Cette distorsion provient des sources mêmes de nos informations. La presse ne rend compte que de certains événements comme s’il s’agissait de tout ce qui avait eu lieu. Elle provient aussi de nos préjugés : non, la police américaine ne tire pas plus sur les personnes blanches que sur les personnes noires, même si elle en tue numériquement davantage, car il n’y a que 15 % de Noirs dans la population américaine.

Alain Cugno
30 janvier 2023
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