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Ecologie et démocratie

Joëlle Zask Premier parallèle, 2022, 240 p., 12 €.

Démocratie et écologie ne sont pas seulement conciliables. La philosophe Joëlle Zask les tient pour indissociables dans l’expérience d’être au monde en pleine responsabilité.

Selon une idéologie trop répandue, la démocratie serait liée à l’abondance, laquelle serait antithétique avec les principes de l’écologie. De son côté, l’écologie serait punitive ou ne serait pas. Selon Joëlle Zask, ces conceptions sont fausses et nous poussent dans une impasse tant démocratique qu’écologique, laquelle se traduit dans le contexte actuel par la montée du climatoscepticisme, des complotismes et de l’autoritarisme vert.

La philosophe, spécialiste et traductrice de l’œuvre de John Dewey (1859-1952), psychologue et figure du pragmatisme philosophique américain dont on retrouve l’empreinte tout au long de l’ouvrage, développe une thèse que ce dernier n’aurait pas reniée : « Soit la démocratie est écologique, soit ce n’en est pas une, et réciproquement, soit l’écologie est démocratique, soit ce n’est pas de l’écologie. »

Pour comprendre le lien essentiel entre démocratie et écologie, l’autrice nous enjoint de comprendre la démocratie comme un mode de vie ou comme la méthode de l’expérience appliquée à la vie politique. Ainsi, la démocratie n’est pas définie par sa forme politique. Elle s’exprime avant tout par des habitudes qui relèvent du principe d’autogouvernement, dont la pratique porte toujours sur « un objet concret auquel chaque participant est associé, vis-à-vis duquel il est engagé ». L’autogouvernement renvoie donc à un mode de participation direct, ni top-down, ni bottom-up, car « il n’y a pas de “up” en cette affaire ».

« C’est d’une relation active avec un environnement que naissent les habitudes démocratiques. »

Dans cette logique, c’est le rôle de la démocratie d’éduquer à l’autogouvernement et de permettre à chacun de l’appliquer à soi-même et dans ses actions associées. Cet apprentissage est en soi écologique : « C’est seulement d’une relation active avec un environnement dont l’acteur, singulier ou pluriel, s’occupe de manière à le préserver tout en s’y accomplissant que naissent les habitudes démocratiques. L’autogouvernement est à la fois l’école, le laboratoire et le garde-fou de la démocratie. »

La relation active avec l’environnement est justement ce que l’autrice, à la suite de Dewey, nomme « expérience ». Cette dernière se comprend comme une « variable d’ajustement entre les êtres et leur milieu » ; et la démocratie, comme « l’organisation sociale dont la finalité est de distribuer à chacun les moyens de mener ses propres expériences ». Ainsi se clarifie la thèse fondamentale de l’ouvrage : « La démocratie écologise la relation au monde tandis que l’écologie dispose à des formes de partage et de solidarité dont la démocratie est la formalisation. »

Du concept d’expérience, dans son acception pragmatiste influencée par l’évolutionnisme darwinien, procède donc le lien entre écologie et démocratie. Toute expérience est à la fois unique et partagée, contextualisée et partageable, à la fois avec l’environnement et avec l’entourage social.

La démocratie comme l’écologie, au travers de l’expérience, ne relèvent pas des idéaux identitaires de fusion ou de pureté, mais de pluralisme et de diversité. En outre, la possibilité d’une expérience réunie ne renvoie pas à une conception négative de la liberté comme autonomie, mais comme indépendance. Elle impose également l’idée que la démocratie a bien plus à voir avec l’être et le devenir des personnes et de l’environnement qu’avec l’avoir ou la possession.

La philosophie de l’expérience nous enjoint ici de vivre « en présence de la nature ». Considérer notre relation avec l’environnement comme une relation d’interdépendance ou de dépendance est juste, mais insuffisant. C’est pourquoi Joëlle Zask propose de réactualiser la notion de complémentarité pour se considérer « non comme utilisateur ni comme otage, mais comme partenaire d’une entreprise commune ». Ce rapport au milieu s’oppose aux idéaux d’un syncrétisme entre maison, sol et peuple ; de même qu’il s’oppose à ceux qui renient tout attachement.

Il s’agit aujourd’hui d’associer citoyenneté et entretien du monde.

Pour Joëlle Zask, il s’agit plutôt de développer une relation avec un « coin de vie » portée par une « logique contributive » : « Tout en restaurant la valeur de pluralité que l’universalisme rationaliste et le racialisme territorialiste ont pour but d’éliminer, le couplage entre écologie et démocratie permet d’associer les pratiques de la citoyenneté et l’entretien du monde sans passer ni par l’appropriation exclusive et la souveraineté, ni par la symbiose et l’enracinement. »

C’est en ce sens que le « coin de vie » et la relation entretenue avec ce dernier peuvent être abordés au travers de la notion de « pays », qui renvoie tout autant à un territoire géographique et culturel qu’aux habitants qui le peuplent : « Un pays n’est pas quelque chose avec quoi on fusionne pour y trouver une “identité”, mais un espace qu’on arpente et, dans une certaine mesure, qu’on transporte avec soi. »

Dans ces « pays » de différentes échelles (ville, région, etc.), Joëlle Zask explore deux figures démocratiques et écologiques : celle du gardien et celle du hacker. Le gardien est celui « qui veille sur vous, pourvoit à votre bien-être et vous soigne si vous tombez malade ». Il n’est ni un représentant ni un expert, mais cultive, répare, « augmente » une zone et se connecte avec elle pour la défendre. Les gardiens, lorsqu’ils sont organisés, peuvent se constituer en publics démocratiques – autre concept cher à Dewey – et par leurs actions développer entre eux un sentiment de communauté.

Quant au hacker, il est celui qui « restitue au public les biens injustement privatisés », une sorte de « cyber gardien ». Son action brouille les pistes entre le local et le mondial, entre petits et grands gestes : « Ce qui est petit ou grand dépend de la qualité du geste effectué et de la nature de ses conséquences, non du statut social et de la fonction de son auteur. » Chacune de ces figures suscite une relation de complémentarité et de transformation avec le site qu’elle occupe et avec les autres occupants.

C’est dans cette rencontre située que se joue la « configuration commune des espaces » et c’est elle qui « confère à cet espace la qualité d’être commun ». Solide et argumentée, la thèse de Joëlle Zask livre des pistes d’action pour une mise en œuvre de cette troisième voie qui fait de la démocratie et de l’écologie des partenaires, bien plus que des rivales.

Noé Kirch
29 novembre 2022
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