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Planète en ébullition Écologie, féminisme et responsabilité

Laurence Hansen-Løve Écosociété, 2022, 245 p., 16 €.

Le péril climatique soulève une révolution inédite : féministe, écologiste, non-violente et internationale. Laurence Hansen-Løve revient sur les fondements philosophiques de ce bouleversement.

Loin des insurrections violentes que l’imaginaire commun associe au terme « révolution », la révolution décrite par Laurence Hansen-Løve dans ce petit état des lieux est comprise comme un changement profond, étendu et total, touchant d’abord la morale puis, éventuellement, les institutions politiques. L’autrice explique que la mondialisation, par ses impacts néfastes sur l’environnement et le social, engendre une détresse grandissante, affectant de plus en plus de personnes.

Le désarroi face à l’effritement de notre écosystème et la désillusion d’une génération éduquée et informée vis-à-vis de la politique politicienne, donnent lieu à des expérimentations révolutionnaires. En effet, ces alternatives pacifistes et non violentes sont politiques, elles s’en revendiquent, mais cherchent à se faire en dehors des arènes du pouvoir.

C’est à partir de la philosophie spinoziste que Laurence Hansen-Løve articule l’inventaire des dynamiques en jeu dans cette révolution. L’autrice perçoit dans la philosophie de Baruch Spinoza (1632-1677) une nouvelle voie : celle d’une réconciliation entre l’humanité et la nature, et de la réhabilitation de celle-ci. Entamant une rupture avec le cartésianisme, cette philosophie annonce le projet républicain, laïque et démocratique ; l’autrice y voit aussi une philosophie de la joie.

Hansen-Løve expose diligemment l’histoire de la pensée de la séparation et de la domination de l’homme sur la nature depuis la mythologie, en passant par la Bible, Descartes et Kant. La critique de l’anthropocentrisme que fait Spinoza dans l’Éthique engendre un tournant : Dieu est la nature et la totalité du réel. De ce fait, la nature n’est ni bonne ni mauvaise, ni subordonnée ni soumise à l’homme.

De l’anthropologie, Laurence Hansen-Løve retient qu’il faut nous ouvrir à des systèmes de représentations plurielles et donc « élargir l’idéal de rationalité cartésien », « renoncer au mythe du progrès » et « prendre conscience de la crise écologique » en sortant de l’opposition nature-culture. La nouvelle éthique qui en émerge porte une ontologie qui accorde de la valeur à la nature. Ce faisant, l’humain se responsabilise et agit en ayant conscience de l’impact de ses actes sur autrui et devant l’avenir, engageant ainsi toute l’humanité.

L’inaction reste sur le devant de la scène, alors que la réponse commune se trouve dans une refonte totale de nos modes de vie.

Cette interconnexion des êtres vivants se retrouve dans l’hypothèse Gaïa. Selon cette écosophie, il s’agit d’« accepter de repenser radicalement les conditions de possibilité de l’existence humaine dans un monde fini » et dans une harmonie écologique, en tendant vers l’égalitarisme biosphérique. De là, Laurence Hansen-Løve évoque les nouvelles réflexions autour du statut des animaux.

La désanthropocentrisation, issue entre autres du tournant spinoziste et des apports de l’anthropologie, permet aujourd’hui de faire communauté avec les animaux autres qu’humains. Si seul l’être humain dispose de la morale et de la politique, donc d’un souci de justice et d’un sens de la responsabilité, alors celle-ci n’en est que plus grande d’établir les limites de nos actions afin de garantir une cohabitation entre tous les êtres vivants.

Après avoir placé le cadre philosophique de cette révolution, Laurence Hansen-Løve aborde les bouleversements engendrés par la pandémie de Covid-19 sur les manières d’appréhender le monde. L’essayiste nous rappelle d’abord les impacts anthropiques sur l’environnement et leurs conséquences dangereuses pour tout le vivant, y compris l’humanité. Que ce soit la dernière zoonose ou la destruction de l’environnement, ces phénomènes connaissent une croissance rapide et continue. L’inaction, pourtant coûteuse, reste sur le devant de la scène, alors que la réponse commune se trouve dans une refonte totale de nos modes de vie.

Front jeune

C’est pour cela qu’aujourd’hui la révolution bourgeonne. Dans ses rangs, elle compte des jeunes, qui se mobilisent rapidement, en grand nombre et sur toute la planète grâce aux réseaux sociaux. Bien que sans leader, cette révolution se distingue aussi par sa grande mixité ; nombre de femmes ont impulsé des actions : Hilda Flavia Nakabuye et la grève scolaire de 2019 en Ouganda, les grèves de la faim de la militante chinoise Ou Hongyi, Anuna de Wever et le mouvement de la jeunesse pour le climat, etc.

Si la réflexion autour de la « vraie violence » semble être un débat prégnant chez les activistes, Laurence Hansen-Løve précise que la non-violence est au cœur de ce mouvement et est une condition sine qua non pour triompher. Les événements organisés tiennent en partie de la désobéissance civile qui conteste, mais surtout propose et rassemble en faveur d’une justice et d’une morale universalisables.

Ces transformations questionnent les démocraties libérales comme reposant sur le dessein capitaliste de développement industriel.

Les actions en justice sont privilégiées par la plupart des organisations militantes, mais celles-ci font tout de même preuve d’inventivité en termes de nouvelles formes de mobilisations ; il s’agit d’élargir les possibles tout en fonctionnant selon les principes démocratiques. Cette révolution est aussi juridique en ce qu’elle plaide pour la reconnaissance de droits au vivant et à l’environnement.

Rejoignant la conception jonassienne de la responsabilité, il est attendu que le droit devienne transgénérationnel. Ces importantes transformations questionnent les démocraties libérales comme reposant sur le dessein capitaliste de développement industriel. Une proposition s’esquisse : une démocratie écologiste, avec pour piliers la justice sociale et le respect de l’environnement.

Vague féministe

Enfin, Laurence Hansen-Løve aborde le caractère féministe de cette révolution. Entre un bref rappel des origines et des différents courants du féminisme, l’autrice distingue, à partir du travail de Marie-Cécile Naves1, trois grandes vagues : l’époque des suffragettes (fin XIXe à début XXe) qui revendiquent plus d’égalité et le droit de vote, l’époque du Mouvement de libération des femmes (après-guerre), qui milite pour la libération du corps des femmes, et l’époque des féminismes sociaux et racisés (1980 à aujourd’hui) avec le Black Feminism et les mouvements queer qui mettent en avant l’intersectionnalité. #Metoo, rapidement cité, pourrait constituer une quatrième vague.

Après avoir suggéré un habitus féminin2, Laurence Hansen-Løve fait rejoindre féminisme et refus de la violence motivé par le statut d’épouse et de mère, tout en soulignant que certaines seraient prêtes à une « guerre des sexes » pour mettre fin aux violences sexistes et sexuelles. Le dernier chapitre traite de l’écoféminisme qui montre la responsabilité du patriarcat et de sa logique capitaliste dans la formation d’un régime d’exclusivité où se retrouvent femmes et nature, exploitées et soumises.

Planète en ébullition coche toutes les cases : de Greta Thunberg à George Floyd, en passant par la non-violence et la salutation aux politiciennes – sans oublier les hommes. S’il est remarquable de citer des femmes et des luttes autres qu’occidentales dans un ouvrage français sur une révolution féministe, Laurence Hansen-Løve ne peut s’empêcher de citer des militants hommes pour, selon elle et à plusieurs reprises, éviter une quelconque injustice dont les tenants et aboutissants ne sont jamais expliqués.

Bref, ces 245 pages sont riches en références et l’organisation en courts paragraphes permet de naviguer aisément dans cet aperçu de la lutte écologiste et féministe. On pourra cependant déplorer que l’ouvrage, s’il expose de manière relativement exhaustive les imbrications théoriques et sociales de ces revendications, se retienne d’entrer en profondeur dans les débats et suggère une position avec laquelle on ne peut qu’être d’accord.

1 Marie-Cécile Naves, La démocratie féministe. Réinventer le pouvoir, Calmann-Lévy, 2020.

2 Véronique Nahoum-Grappe, Le Féminin, Hachette, 1996.

Angèle Dequesne
22 novembre 2022
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