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De la laïcité en France

Patrick Weil Grasset, 2021, 162 p., 14 €.

La laïcité ne cesse de nourrir les controverses et les confusions entretenues par l’actualité. L’historien Patrick Weil en restitue les fondements historiques et juridiques.

«La laïcité n’est pas une idéologie au service d’un camp. » Alors rapporteur général de feu l’Observatoire de la laïcité, Nicolas Cadène le rappelait le 10 décembre dernier, au lendemain de la Journée nationale de la laïcité sur le média en ligne AOC. Il estimait alors que la confusion sur le sujet était à son comble. « Beaucoup préfèrent mettre en avant leur vision subjective de la laïcité plutôt que de s’en tenir au cadre juridico-politique laïc français défini par nos textes fondateurs. » C’est justement ce à quoi s’emploie, dans cet essai clair et concis, l’historien Patrick Weil, directeur de recherches au CNRS et ancien membre de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité.

Afin de sortir de l’opposition – politiquement et médiatiquement construite – entre les tenants « libéraux » et « rigoristes » de la laïcité (qu’il ne nomme pas), l’auteur propose de revenir au « moment 1905 », qui, dans le sillage de l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État, s’ouvre début 1903 et se referme avec la Première Guerre mondiale. Cette séquence est triplement exceptionnelle. D’abord, par la qualité du travail parlementaire réalisé ; ensuite, parce que le principal rédacteur et le rapporteur de la loi du 9 décembre 1905, Aristide Briand, alors député socialiste indépendant de la Loire, en a assumé l’application ; enfin, par le rejet intransigeant et immédiat de cette même loi par le pape Pie X.

Patrick Weil consacre la moitié de l’ouvrage à ce moment singulier, revenant précisément sur l’instauration, à partir du concordat de 1801, d’une véritable politique de laïcité dans une France majoritairement catholique. Cette politique allie souplesse et pragmatisme d’un côté et fermeté de l’autre vis-à-vis de la minorité des catholiques violant ostensiblement la nouvelle loi. La législation de 1905 est l’aboutissement d’un long processus ouvert par la Révolution : la liberté de conscience fut reconnue par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le délit de blasphème aboli, permettant à la liberté d’expression de s’épanouir. Ce moment inaugure une progressive laïcisation du droit et la sécularisation de la société française.

Les crispations autour de la laïcité s’expliquent d’abord par l’ignorance de ce qu’elle est vraiment.

La seconde moitié de l’ouvrage livre quelques éclairages contemporains, soulignant un point essentiel : « La laïcité qui régit les relations entre individus, groupes religieux et État, c’est d’abord du droit. » En 2006, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs fait de la laïcité un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. Aux yeux de l’auteur, au-delà des instrumentalisations politiques, les crispations autour de la laïcité s’expliquent d’abord par l’ignorance de ce qu’elle est vraiment, si tant est qu’elle inclut le droit de ne pas croire, « c’est-à-dire d’exister comme citoyen sans identification à la religion ».

La liberté et l’égalité recherchées par la loi de 1905 ouvrent schématiquement quatre « espaces » : celui de l’État, dont la neutralité vise à garantir cette égalité et cette liberté ; celui du lieu de culte, où s’applique la règle de la religion qui le gère ; l’espace privé ; et l’espace public. C’est au sein de ce dernier que les tensions les plus vives se manifestent. Patrick Weil revient sur la question du port du voile dans les écoles publiques, objet d’un intense débat public et juridique depuis l’exclusion de trois collégiennes d’un établissement de Creil en 1989 pour avoir voulu y conserver leur foulard. Quinze ans plus tard, la loi du 15 mars 2004 interdit le port des signes religieux ostensibles dans les écoles publiques.

L’auteur défend cette loi et en souligne la conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme. Il revient également sur l’affaire de la crèche Baby Loup, débutée en 2010 après le licenciement d’une puéricultrice portant le voile, contre le règlement intérieur de la crèche. La Cour de cassation considérera ce licenciement comme recevable, non au regard de la laïcité (la neutralité religieuse n’étant pas le but de la crèche), mais parce que le port d’un signe religieux contrevenait au règlement intérieur accepté par la puéricultrice au moment de son embauche. Patrick Weil y insiste : « Quand un cas se situe à la frontière de plusieurs droits et libertés […], il est normal qu’il provoque une bataille d’interprétations. »

Parallèle américain

Un autre intérêt du livre tient à la comparaison de la situation française avec celle des États-Unis. Bien que, outre-Atlantique, le Président prête serment sur la Bible et que la devise nationale, « In God We Trust », figure sur les billets de banque, une proximité juridique existe bel et bien entre les deux pays. Cette proximité s’ancre d’une part dans le Premier amendement de la Constitution de 1776, qui garantit la liberté de religion et – contrairement à certains pays européens – prohibe toute religion officielle ; et d’autre part, dans des jurisprudences proches. Ainsi, en 2016, le Conseil d’État a jugé l’installation de crèches de Noël dans certaines mairies contraire à l’article 28 de la loi de 1905 (interdisant les signes ou emblèmes religieux sur les monuments et les emplacements publics), en se référant à la jurisprudence de la Cour suprême américaine.

Seule la citoyenneté, pleinement reconnue à chacune et à chacun, permet la laïcité. 

Pour autant, depuis les années 1990, une divergence se fait jour, alors que le Congrès américain a autorisé des exemptions à l’application des lois générales et octroyé aux cultes des droits spéciaux dans des domaines limités. Patrick Weil relève ici une différence historique et fondamentale de conception de l’État et de la Nation d’un pays à l’autre. En France, l’État a pu paraître protecteur et émancipateur face à une religion archi-dominante. Les États-Unis doivent, quant à eux, leur fondation à des minorités religieuses ayant fui des persécutions d’État.

La France est « aujourd’hui le pays le plus divers d’Europe du point de vue de ses options spirituelles », précise l’auteur. Son approche par l’histoire et le droit apporte un éclairage précieux sur un sujet chargé de passions. Elle apparaît d’autant plus nécessaire à la suite de l’assassinat, en octobre 2020, de l’enseignant Samuel Paty – le livre s’ouvre sur le rappel de cette tragédie – qui a de nouveau embrasé les débats. Sortant de sa réserve, Patrick Weil relève l’importance de l’histoire à double titre.

D’abord, si elle « n’est pas discriminatoire », la laïcité française reste « marquée par l’histoire ». En outre, « la connaissance de cette histoire qui nous fait compatriotes est aussi une condition de la laïcité ». Comme le proclame la charte des établissements scolaires, « la laïcité permet l’exercice de la citoyenneté ». L’inverse est encore plus vrai : « Seule la citoyenneté, pleinement reconnue à chacune et à chacun, permet la laïcité. » Non pas en théorie, mais en actes.

Jean Vettraino
9 décembre 2021
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