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No demos ? Souveraineté et démocratie à l’épreuve de l’Europe

Céline Spector Seuil, 2021, 424 p., 24 €.

L’Union européenne n’existera pas sans peuple. Pour l’heure fragile, l’identité citoyenne européenne dispose de leviers pour se construire, selon l’analyse de la philosophe Céline Spector.

L’Union Européenne ne fait plus rêver. Mais il y a plus grave : avec sa bureaucratie, soumise aux règles néo-libérales et ses règlements imposés aux États membres, elle nie la démocratie. Et d’ailleurs quel pouvoir démocratique, quel kratos, serait de toute façon exercé par un peuple européen... qui n’existe pas ?

« No demos ? » Sans céder au politiquement correct, Céline Spector offre une remise en cause vigoureuse de ce fatalisme. Elle soutient la proposition d’une « république fédérative européenne ». Bien sûr, sa maîtrise de la philosophie des Lumières donne du souffle à sa proposition. Et sa connaissance pointue des institutions et mécanismes politiques européens, dans leurs forces et leurs faiblesses, lui donne du crédit. Les premiers pas de l’intégration européenne ressemblent à un fédéralisme qui ne se dit pas. Mais l’assumer suppose d’affronter des questions exigeantes : quelle souveraineté, quelle citoyenneté, et surtout quel peuple sont alors en jeu ?

Après la paix et la prospérité, la solidarité doit devenir la finalité nouvelle de l’Union européenne.

Une conviction traverse l’ouvrage : Bruxelles serait le « bouc-émissaire des pathologies ordinaires de la démocratie ». De fait, prenant acte de l’autorité des droits de l’homme comme des apories de la représentativité, l’autrice suggère d’abord de reconnaître, contre nos imaginaires de démocratie directe, que notre souveraineté est déjà limitée. Celle-ci est donc moins indivisible qu’on ne le croit. Elle peut être mise en commun – moins comme « faisceau de droits ou de compétences » que comme « puissance publique » à partager, en délibérant sur les modalités de ce partage.

Par ailleurs, l’opposition entre l’individu bourgeois libéral, porteur de droits, et le citoyen participant à la vie politique est ici remise en cause. Elle ignore en effet le lien de continuité entre société civile et politique, établi par Montesquieu ou Hegel : la citoyenneté européenne, fût-elle fondée sur des droits, n’est pas condamnée à dépolitiser. Précisément, contre la tentation nationaliste de faire du peuple une réalité pré-politique sur laquelle fonder le politique, Céline Spector voit l’identité collective d’un peuple européen se constituer via les institutions politiques idoines, qu’il s’agit de mettre en place ou de réformer. Ce peuple civique ne surgirait pas ex nihilo, mais s’appuierait sur une « culture politique européenne », déjà établie dans les faits.

Ce projet européen est-il anachronique à l’heure des tentations souverainistes ? Il est au contraire la seule solution aux injustices d’un marché mondialisé et dérégulé. Il s’agit alors de s’unir pour les compenser et les corriger. « Après la paix et la prospérité, la solidarité doit devenir la finalité nouvelle de l’Union européenne », assure à raison l’autrice. Le telos d’une Europe sociale et environnementale peut se réaliser grâce à un New Deal européen incluant une fiscalité européenne, là aussi étudiée précisément. L’une des grandes vertus de l’ouvrage, et non des moindres est d’amener le lecteur, au terme d’un parcours très intellectuel, à retrouver le projet européen désirable et à y croire.

Benoit Ferré
17 décembre 2021
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