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La Communion qui vient Carnets politiques d'une jeunesse catholique

Paul Colrat, Foucauld Giuliani et Anne Waeles Seuil, 2021, 256 p., 20 €.

Leurs prises de position détonnent au sein d’une jeunesse catholique souvent perçue comme conservatrice. Les trois jeunes auteurs de La Communion qui vient les revendiquent au nom d’une foi sans concession.

Paul Colrat, Foucauld Giuliani et Anne Waeles ont pour point commun d’avoir une trentaine d’années, d’enseigner la philosophie et d’être catholiques. Leur engagement s’est déployé au cours des dernières années au sein de deux collectifs originaux, deux cafés associatifs : le Dorothy fondé à Paris en 2017 – en référence à Dorothy Day (1897-1980) grande figure du catholicisme social américain mais encore peu connue en France - et le Simone – en hommage à Simone Weil – ouvert à Lyon en 2015.

Leur thèse est d’emblée formulée : la « mission essentielle de la foi » est de « mettre en lumière les contradictions entre l’ordre du monde et la justice désirée par Dieu sur terre ». Dans cette perspective, se trouve fondé leur refus de toute instrumentalisation du religieux par le politique, en particulier lorsqu’il s’agit de mettre en avant des « racines chrétiennes de la France » contre l’islam, ou encore lorsqu’il est question de « valeurs » à défendre. Le catholicisme ne saurait être mis au service ni d’un « ordre civilisationnel », ni d’un « ordre moral ». De ce point de vue, le livre prend assez largement le contre-pied de celui de Guillaume Cuchet1 qui plaide pour un « catholicisme culturel », réservoir d’un ensemble de « ressources » disponibles même en dehors de toute croyance.

Une telle radicalité les conduit à condamner le capitalisme, à critiquer « les fictions de l’individu » (et leur corollaire d’injonction à l’autonomie), et à se prononcer pour un accueil inconditionnel des personnes migrantes. Leur refus de toute compromission s’exprime également à propos des violences sexuelles : « Si, comme le dit le Credo, l’Église est sainte, cela signifie au minimum qu’elle n’est pas et ne peut pas se comporter comme une institution semblable aux autres. » Les discours tendant à comparer ce qui s’est produit dans la sphère ecclésiale à d’autres institutions pour en relativiser la gravité sont jugés purement et simplement irrecevables.

Contre l’ordre naturel

Les trois philosophes prennent soin de marquer leurs distances avec d’autres jeunes catholiques (un intérêt pour l’expérience des jeunes zadistes est, en revanche, plusieurs fois exprimé) à qui on ne saurait les assimiler. On pense aux Veilleurs lorsqu’il est question « des lecteurs hâtifs de Gramsci ». La référence est plus explicite encore à celles et ceux qui, dans le sillage de la revue Limites prônent la sobriété et mettent en œuvre une écologie intégrale, qualifiée par les auteurs de « concept fourre-tout » : « Nous conformer à un ordre naturel, stable, bien réglé n’est pas une idée chrétienne mais païenne, elle exprime la tentation d’échapper à l’Histoire pour trouver refuge dans la régularité des cycles cosmiques. »

La critique se fait aussitôt plus précise : « Bien souvent, deux concepts de nature sont confondus : la nature comme ce qui préexiste à la culture, et l’idée de l’homme tel qu’il est voulu par Dieu. » Quant à La Manif pour tous, elle est présentée pour les personnes de leur génération qui y ont pris part comme « un péché originel » : « Le mal commis a consisté à blesser moralement et spirituellement les personnes pour qui cette loi était conçue en s’opposant à celle-ci par une débauche d’énergie rarement observée pour un sujet politique, et en frayant avec d’odieux personnages politiques auxquels ce mouvement a donné de la force. »

Ces jeunes catholiques viennent bousculer les typologies par lesquelles la sociologie appréhende leur monde religieux.

C’est d’ailleurs sur les questions de genre que le propos prend un ton particulièrement incisif. Il fustige l’inquiétude développée au sein du catholicisme contre ce qui trouble les normes de genre et les appels à « refonder » des dernières, comme lors des stages de « revirilisation ».  L’aporie du discours du magistère sur l’égalité dans la différence est à cet égard soulignée. Plusieurs pages s’attachent à déconstruire les discours relatifs « au respect de la vie » (il s’agit en fait d’ « en finir avec la bioéthique ») et à « la défense de la famille » (en tant que « lieu de transmission et de reproduction du patriarcat »). À la prétendue « famille chrétienne » se trouvent opposés la figure queer du moine et le célibat des prêtres, qui témoigne de la possibilité d’échapper à l’impératif social de la reproduction. Pour autant et plus classiquement, on retrouve sous la plume du trio d’auteurs la dénonciation de « l’extension de la procréation technique, de la GPA, de la prostitution et de l’euthanasie ».

Au final, ces jeunes catholiques viennent bousculer les typologies par lesquelles la sociologie appréhende leur monde religieux. Ainsi, si l’on reprend celle de Philippe Portier, on ne peut pas les classer du côté des catholiques « d’identité » pas plus que de celui des catholiques « d’ouverture »2. De même, la grille politique droite/gauche comme celle opposant « conservateurs » et « progressistes », que les auteurs récusent ici explicitement, ne semblent guère davantage opérantes. Ces « observants », qui se définissent comme des « paroissiens », n’ont néanmoins pas grand-chose en commun avec celles et ceux décrits par Yann Raison du Cleuziou3. L’ouvrage, extrêmement stimulant, donne à voir la grande pluralité interne au monde catholique, caractéristique qui vaut tout autant pour ses membres les plus jeunes.

1 Le catholicisme a-t-il encore de l’avenir en France ? Seuil, 2021.

2 « Pluralisme et unité dans le catholicisme français », in Céline Béraud, Frédéric Gugelot et Isabelle SaintMartin (dir.), Le catholicisme sous tensions, Editions de l’EHESS, 2012, p.14-35.

3 Une contre-réforme catholique. Aux origines de la Manif pour tous, Seuil, 2019.

Céline Béraud
10 décembre 2021
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