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Discernement et engagement politique

Pierre de Charentenay Discernement et engagement politique, éditions Vie chrétienne, 2020, 96 p., 12 €.

L’adhésion partisane rebute aujourd’hui de nombreux catholiques. Déjouant les craintes, Pierre de Charentenay invite chacun à porter sa propre conscience au cœur de son engagement politique.

« Pour nos dirigeants politiques, qu’ils sachent prendre les décisions justes, Seigneur, nous te prions. » En bonne place dans toutes les prières universelles, cette intention révèle l’inconscient collectif de nombre de catholiques français : la politique, c’est pour les autres. Dans ce bref ouvrage, Pierre de Charentenay, docteur en science politique et ancien rédacteur en chef de la revue Études, veut au contraire inviter les catholiques à s’engager en politique et leur propose un éclairage chrétien, moral et pratique en ce sens.

Premier objectif : réhabiliter la politique. Conscient de l’image dégradée des partis et dirigeants politiques, l’auteur insiste sur la nécessité de s’intéresser à ce pilier de la vie collective et de la recherche du bien commun. La politique ne s’oppose pas à la charité, mais en est complémentaire car elle travaille à « l’organisation de structures de justice permettant de soutenir l’ensemble des catégories sociales les plus pauvres ».

Comment, dès lors, comprendre ce détachement ou ce regard hostile des catholiques vis-à-vis de la politique ? La politique s’est-elle salie ? Son exercice est-il voué à l’impasse en tant qu’il implique des dilemmes moraux, de fortes tensions et, in fine, une nécessaire conflictualité ? C’est l’analyse de l’auteur. Hélas, il occulte le projet politique consistant justement à asseoir l’apathie politique1.

Les chrétiens doivent pouvoir parler à leur manière à la société dans laquelle ils sont. 

Depuis quarante ans, en effet, le consensus néolibéral privatise, dérégule et rend indépendant du politique une partie croissante de l’action publique – la faisant dépendre d’institutions ou de critères extérieurs au champ politique.

En réponse, un deuxième temps de l’ouvrage rappelle les fondements proposés par l’Évangile et la doctrine sociale de l’Église pour l’engagement politique : l’amour comme principe gouvernant les relations sociales, la responsabilité de chacun dans ses interactions avec la communauté et le souci de « chacun de ces petits qui sont mes frères ». L’auteur souligne qu’« il n’y a pas de vérité chrétienne en politique. (…) Il n’y a que des chrétiens en politique, qui doivent pouvoir parler à leur manière à la société dans laquelle ils sont. »

Principes directeurs

C’est dans un troisième et dernier temps que se situe véritablement le cœur de l’ouvrage. Pierre de Charentenay y décrit avec lucidité les pièges de l’engagement politique : la perte de liberté que peut entraîner l’adhésion à un parti ou une idéologie, la griserie de la notoriété ou encore l’emprise de l’engagement au détriment de la foi. En chrétien, l’auteur appelle à beaucoup d’humilité et de liberté, et suggère quelques principes : l’exigence du long terme, le lien avec les « gens d’en bas » autant que ceux d’en haut, le sens de la loi, le souci des pauvres et de notre planète.

L’engagement dans la cité est un mouvement progressif davantage qu’une décision ponctuelle.

Pour autant, il ne s’attarde guère sur les dilemmes moraux entre éthique de conviction et éthique de responsabilité, et les ajustements souvent nécessaires de l’une avec l’autre. Un visionnage de la série Baron noir compléterait utilement la lecture, la fiction télévisée illustrant assez bien cette tension : quand un adversaire politique risque d’empêcher une mesure qui leur semble vitale, les personnages hésitent entre la fidélité à leurs principes, leurs convictions et leur responsabilité de faire advenir le projet politique pour lequel ils ont été élus.

Pierre de Charentenay conclut par une invitation au discernement avant toute « entrée en politique », assimilée à un grand saut. Il nous semble néanmoins que l’engagement dans la cité est un mouvement progressif davantage qu’une décision ponctuelle. De multiples engagements associatifs peuvent revêtir des aspects politiques et être ainsi sujets aux pièges décrits dans l’ouvrage. Ces expériences constituent, malgré tout, des paliers susceptibles de nourrir la réflexion : avons-nous la capacité et le goût d’entrer en politique ? Envisageons-nous cet engagement comme un service ?

Certaines craintes disparaissent à l’épreuve de l’engagement, qui ouvre des perspectives nouvelles que nos propres préjugés sociaux nous interdisaient. Ces questionnements conduisent à mûrir la décision d’une prise de responsabilité plus large, d’une adhésion à un parti ou d’une candidature à une élection. La démarche de discernement ici proposée ne s’adresse pas seulement aux personnes interrogeant leur vocation politique. Elle acquiert sa pertinence tout au long du chemin de l’engagement.

1 Cf. Grégoire Chamayou, La société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, La fabrique, 2018.

Joseph D'halluin et Julie Lefort
22 septembre 2021
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