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Désirs d'Islam Portraits d'une minorité religieuse en France

Lætitia Bucaille et Agnès Villechaise (dir.) Presses de Sciences Po, 2020, 256 p., 22 €

Cet ouvrage collectif de sciences humaines et sociales constitue une réelle contribution à la connaissance des Français et Françaises de confession musulmane. Dans le premier chapitre, d’approche essentiellement statistique, Vincent Tiberj estime le nombre de musulmans et musulmanes à quatre millions environ ; il rappelle par ailleurs que 68 % des musulmans considérant la religion comme « très ou assez importante » déclarent ne jamais assister à un office religieux. Tout en ayant un propos affirmé, les auteurs refusent la violente polarisation des débats actuels autour de l’islam en France. Actant une visibilité croissante de la deuxième religion du pays depuis une vingtaine d’années, ils prennent au sérieux les désirs d’islam qui s’y expriment. 

Des portraits nuancés et précis – une mise au point méthodologique est effectuée à chacune des contributions – sont proposés. Trois catégories sont distinguées : « musulmans et citoyens ordinaires » ; « musulmans en quête d’émancipation » ; « musulmans suspects ». Qu’il s’agisse des revendications de mères de famille pour l’école de leurs enfants dans un quartier populaire de Nîmes (Geneviève Zoïa et Laurent Visier) ou le travail d’entrepreneurs musulmans au sein de l’union professionnelle Synergie des professionnels musulmans de France (Sarah Aïter), on retrouve le même double mouvement : l’attachement à l’islam et le souhait de vivre d’une façon ordinaire, de jouir de ses droits, comme n’importe quel Français. Hormis le premier chapitre, l’approche ethnographique et le suivi au long cours des populations enquêtées sont privilégiés.

À ce niveau, bien des questions binaires, surplombantes, qui se posent sur l’islam en France semblent s’affaisser sur elles-mêmes. Par exemple, le diptyque radicalisation de l’islam/islamisation de la radicalité ne rend compte ni de ce que fait le quartier aux individus ni de leurs socialisations diverses. Se demander si l’émancipation permise par une pratique religieuse rigoriste et le port du voile ne constituerait pas en fait une nouvelle forme d’aliénation, c’est manquer le fait que les individus, banalement, changent et que leurs identités sont le fruit d’influences multiples et mouvantes. Lætitia Bucaille et Agnès Villechaise concluent ainsi leur contribution relative aux jeunes femmes musulmanes : « La description d’un processus inéluctable vers une forme de totalitarisme identitaire ne se vérifie pas sur notre terrain. » Par ailleurs, les auteurs prennent toujours soin de remettre l’islam dans un contexte plus large, celui de la place du religieux dans nos sociétés, des dynamiques d’individualisation et de mondialisation en cours, etc.

Pour autant, chacun reste prudent dans ses conclusions. « Les nouvelles expériences de la religiosité, comme d’autres éthiques alternatives et critiques "radicales", tordent les cadres de l’analyse, balaient d’anciens repères […]. La France républicaine peine d’une part à prendre acte de ces bouleversements, et d’autre part à les dépouiller des frayeurs qu’ils suscitent pour les examiner avec justesse, prenant le risque de nourrir des réactions de retrait, d’exclusivisme, d’amertume ou de franche hostilité. » (Lætitia Bucaille et Agnès Villechaise). L’enjeu de produire des politiques publiques adaptées – maintes fois souligné – est d’autant plus important.

Jean Vettraino
18 février 2021
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