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Nous ne savons plus croire

Camille Riquier Desclée de Brouwer, 2020, 242 p., 19,90 €

« Le croyant face à l’incroyant, et l’incroyant face au croyant, finiront peut-être par se rendre compte qu’ils sont pareils, et comme deux reflets de la même époque » : une époque si persuadée que Dieu est hors de portée qu’elle en aurait perdu la question elle-même… Et à mesure que s’accumuleraient les études sur la croyance, nous en saurions, en fait, intérieurement, de moins en moins. Croire prête de toute manière à l’équivoque : de la foi inébranlable (« je crois en Dieu ») à la simple probabilité (« je crois qu’il va pleuvoir »), le verbe recouvre trois sens (religieux) : la créance (credere deum, je crois à Dieu), la confiance (credere Deo, je crois Dieu), la fidélité (credere in Deo, je crois en Dieu). Camille Riquier, professeur de philosophie, vice-recteur à la recherche de l’Institut catholique de Paris, a d’ailleurs soin de ne pas distinguer d’emblée la foi et la croyance. Il approfondit dans cet essai une idée exprimée dans un article de la revue Esprit en février 2016 : « Nous ne savons plus croire. Situation de la foi dans nos sociétés occidentales » (voir aussi « Figure actuelle de l’agnostique. Le croyant tiède », Études, décembre 2017). Pour comprendre comment « nous » en serions arrivés là, l’auteur parcourt quatre siècles en s’appuyant chaque fois sur certains de leurs plus éminents penseurs et réflecteurs, en commençant au XVIe siècle par Montaigne, dont il souligne à quel point son scepticisme nous est, mutatis mutandis, contemporain. Parmi les nombreux développements intéressants (dans la lignée d’un Jean-Luc Marion notamment), Camille Riquier pointe de manière contre-intuitive que la foi faible s’accompagne d’un doute faible. En effet, moins on est sûr de sa croyance et moins on est enclin à douter… Descartes, a contrario, fervent catholique, a poussé le doute jusqu’à ses extrêmes. Au XXIe siècle, le rapport paraît jouer en sens inverse également : « nous » douterions de tout, tout le temps, et serions prêts à croire n’importe quoi sur fond d’équivalence généralisée des opinions – l’arrière-fond étant l’inexistence de Dieu. Notre crédulité nouvelle trouverait son appui sur une incrédulité foncière. Car si nous ne savons plus croire, nous dit Camille Riquier, « pas davantage ne savons-nous douter vraiment et redescendre jusqu’aux raisons critiques qui avaient su nous armer contre une religion jadis intrusive ». Que l’on consonne ou non avec cet essai, il faut lui reconnaître de la profondeur, de la sincérité et une thèse forte. En philosophie, les questions sont plus essentielles que les réponses. Au fond, l’auteur souhaiterait que nous continuions « à être inquiétés par la question de la foi ».

Émilie Reclus
16 septembre 2020
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