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Les émotions de la Terre Des nouveaux mots pour un nouveau monde

Glenn Albrecht Les Liens qui libèrent, 2020, 368 p., 23 €

« Nous sommes à la Terre. » Ce vers du poète suédois Tomas Tranströmer (Sentiers, 1973) conviendrait à Glenn Albrecht, philosophe australien, si l’on entend par « Terre » l’ensemble de l’univers. Ce dernier serait « dans le sens le plus concret, […] la source de toutes les forces émotionnelles ». Mais sommes-nous encore à la Terre ? Ce livre est la première traduction française d’un auteur reconnu dans le monde anglo-saxon. À la fois scientifique, testamentaire et prophétique, il allie des influences multiples, d’Elyne Mitchell à Edward Osborne Wilson, des cosmogonies ancestrales à Laudato si’, de l’anthropologie aux sciences des vies et de la Terre. Pour l’essentiel, c’est le récit d’une « dés-intégration » de la vie, d’une « désolation émotionnelle » mondiale du fait d’une séparation entre les humains et la nature. On doit à Glenn Albrecht le concept de solastalgie (2003) – mal du pays éprouvé, alors que l’on est encore chez soi, du fait d’une dévastation de l’environnement – un concept qu’il développe dans un des chapitres. La thèse générale soutenue ici est, qu’aujourd’hui, « l’humanité est dans une situation similaire à celle du peuple Aborigène en Australie après 1788. L’Anthropocène est arrivé comme une force colonisatrice refoulant toutes les expressions des cultures antérieures ». Le saccage de la Terre est un saccage des vies et de la vitalité humaine. Ainsi, en 1977, suite à la pollution de la Chemical Valley de Sarnia (Canada), « le suicide de CheeChee [un artiste de 33 ans], les problèmes des Indigènes et l’effondrement des populations des oies canadiennes semblent liés ». Comment habiter la Terre en en respectant l’infinité des formes de vies, humaines et non-humaines, ainsi que le mystère même de la vie ? La réponse est d’une simplicité cinglante : l’amour. En deçà se déploit un arsenal conceptuel singulier, nourri de nombreux néologismes (plus d’une trentaine dans le glossaire) et l’adjonction du préfixe « éco » à différents mots (écomental, écoémotionnel, écoactivisme, écoapocalyptique, etc.). « Nous avons besoin de nouveaux concepts pour nous aider à rentrer en contact émotionnel avec la totalité de la vie. » Mais l’auteur va plus loin : il prône une spiritualité séculière – les lecteurs de la Revue Projet, y trouveront des résonances avec le dossier « Les spiritualités au secours de la planète ? » (août 2015) – fondée sur ce qu’il nomme le « ghedeist » : « la conscience d’un esprit ou d’une force qui maintient tous les êtres vivants ensemble. » Cette conscience nouvelle permettrait d’entrer dans le « Symbiocène », une ère de l’Histoire de la Terre qui serait fondée sur la symbiose : les activités humaines y seraient « intégrées dans les systèmes vitaux » et ne laisseraient « pas de traces ». Au vu du tableau très sombre dressé dans le reste de l’ouvrage (l’auteur a des mots très durs sur sa propre génération, celle des baby-boomers), cette génération Symbiocène ne peut naître que d’une perspective radicale et révolutionnaire. Et Glenn Albrecht, qui veut espérer et qui combat fermement tout défaitisme, d’asséner : « Nous sommes déjà au stade d’un bouleversement psychique qui conduira à cette symbio-révolution. »

Jean Vettraino
22 août 2020
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