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Le pouvoir des liens faibles

Alexandre Gefen et Sandra Laugier (dir.) CNRS Éditions, 2020, 384 p., 25 €

Dans un article paru en 1973, « The Strengh of WeakTies », le sociologue nord américain Mark Granovetter démontrait que, en dehors des liens « forts » de solidarité, familiaux, amicaux, professionnels, d’autres liens jouaient un rôle déterminant dans la socialité des individus, ainsi que dans leur accès à des informations, ressources et opportunités. Il rappelait comment des liens « forts » pouvaient isoler les individus, les enfermer dans une communauté ou un cercle. Depuis, le concept de liens faibles connaît de nombreux usages, déclinaisons et inflexions. Internet en particulier a permis, à une échelle mondiale, « la multiplication des liens faibles et donc des “ponts” entre milieux et groupe sociaux » (Pierre Mercklé). L’approche philosophique et littéraire proposée dans ce volume collectif est à la fois relationnelle et politique : les liens faibles, définis a minima comme des « relations hors de l’entourage proche », sont un pouvoir d’agir et de transformation permettant des « solidarités discrètes », des échanges, des formes de mobilisations variées – au niveau individuel comme collectif. Qu’on les inscrive, à l’instar de Sandra Laugier, dans une politique du care ou qu’on les rattache, comme Alexandra Bidet, à la notion de fragilité, il s’agit de trouver « en deçà de moments de commun, le souci d’un monde commun » : dans l’espace public ou numérique, dans l’espace littéraire, où des « liens textuels » peuvent porter un récit collectif (Alexandre Gefen), dans le métro parisien, dans un cercle de parole grenoblois, « Parlons-en » (Anthony Pecqueux), à l’occasion de repas partagés (Barbara Formis) ou de concerts de métal (Catherine Guesde). « La démocratie vit de la faiblesse et de la plasticité des liens qui unissent les citoyens. » L’ouverture sur l’intimité proposée en dernière partie est intéressante, qu’il s’agisse du contrepoint de Nathalie Heinich sur les liens conjugaux ou de la contribution de Christine Détrez qui retrace « comment, dans le cas de liens trop forts, paradoxalement, le recours aux liens faibles, aux liens ténus, est la seule façon d’avancer, la seule façon d’enquêter » sur la disparition de sa mère. Des liens de trois ordres : une rencontre (dans une librairie), des livres, des réseaux sociaux. Un autre intérêt de ce livre est d’étendre le concept aux univers fictionnels, littéraires et télévisuels (les séries en particulier) ainsi qu’aux non-humains, comme le proposent par exemple les contributions de Rémi Beau – « La force des liens environnementaux. Pour une approche relationnelle du sauvage » – ou de Catherine Larrère – « L’histoire du parc de La Courneuve et du crapaud calamite ». Coexistence(s), connexions, attachements… Que l’on considère des biens matériels ou immatériels, la faune et la flore, d’anciens camarades, des passants, « une condition de la justice globale est bien de rendre visible ces liens qui fondent nos responsabilités ». Une visibilisation, certes jargonneuse par endroits, qui est opérante ; elle permet de mieux saisir ce qui nous relie.

Jean Vettraino
1er août 2020
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