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Comment saboter un pipeline

Andreas Malm La Fabrique, 2020, 216 p., 14 €

Ne pas s’arrêter au titre. Son laconisme et sa brutalité apparente ont le mérite d’introduire au cœur du propos : afin de limiter les changements climatiques, le mouvement pour le climat devrait contraindre les États à imposer la prohibition de tout nouveau dispositif émetteur de CO2. Et leur forcer la main : endommager, démonter, détruire ces dispositifs, dont les pipelines sont un symbole international. Quant aux dispositifs existants, ils doivent être remis en cause, quitte à profaner le « domaine sacré ultime » qu’est « la propriété capitaliste ». D’où un préalable majeur : sortir d’une non-violence lénifiante dans laquelle le mouvement pour le climat serait enfermé. Pour l’auteur, militant suédois non-violent depuis la COP1 à Berlin en 1995 (il avait alors 18 ans), maître de conférences en géographie humaine : « La question n’est pas de savoir si une aile combative du mouvement pour le climat va résoudre la crise à elle seule – c’est bien évidemment une chimère – mais si le choc déstabilisateur nécessaire pour faire sortir le « business as usual » de ses ornières peut se produire sans elle ». L’absence totale d’émeute ou de destruction de la part du mouvement pour le climat est-il un signe de force ou d’« incapacité à gagner en profondeur sociale, à énoncer les antagonismes qui traversent cette crise et, surtout, à se munir d’un atout stratégique ? Ce mouvement a-t-il un flanc radical ? » Bien écrit et argumenté, le livre démonte le « pacifisme stratégique » en l’attaquant par deux bouts : son inanité, d’une part, car l’écrasante majorité des mouvements de libération, d’acquisition de droits, de transition démocratique, ont compris des actions violentes ; son absence paradoxale de stratégie, d’autre part, car l’efficacité d’une non-violence indiscutable n’est ni débattue ni réévaluée. Pour un lecteur ou une lectrice française, ce livre permet aussi de se décentrer : qu’il s’agisse d’individus (Greta Thunberg, Bill McKibben…), d’organisations ou de mouvements (350.org, Extinction Rebellion, Ende Gelände…), ou d’exemples historiques, aucun n’est hexagonal. Pour autant, il rejoint directement les sujets français – cf. par exemple l’interview de Jon Palais par Thinkerview, « Non-Violence VS Urgence Climatique » (juin 2018). Au-delà du mouvement climat, il permet de réfléchir sur les conséquences de « la fin de l’idée révolutionnaire » sur les modes d’action contemporains, du sabotage aux manifestations festives. Un livre prenant et radical (s’attaquant à la racine du désastre climatique), résistant à tout fatalisme.

Émilie Reclus
13 juillet 2020
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