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Quelles normes comptables pour une société du commun ?

Édouard Jourdain Éditions Charles Léopold Mayer, 2019, 219 p., 11 €

Le titre risque d’orienter faussement le lecteur. Ce livre, en effet, ne parle pas de normes comptables concrètes et détaillées. Il présente, en revanche, une analyse historique et politique, parfois philosophique, de la manière dont « la comptabilité véhicule [depuis sa création et dans ses principes] une idéologie néolibérale ». Très tôt, les hommes ont voulu mesurer leur richesse via la maîtrise de leurs dépenses et recettes dans un livre de caisse. Ce sont les marchands italiens du XVe siècle qui ont inventé la « comptabilité en partie double », qui dissocie le réalisé (encaissement et décaissement) du probable (facture et dette), le bien réel échangé des lettres de créance. Ainsi, le capital patrimonial, identifié dans le bilan, est distingué du chiffre d’affaires des comptes courants. Ce qui importe n’est pas la croissance du chiffre d’affaires, mais celle du capital. « La comptabilité à partie double n’est donc sans doute pas à la source du capitalisme comme phénomène historique mais elle a aidé à le conceptualiser », comme l’écrit Ève Chiapello (citée dans le texte). L’auteur propose une histoire politique inspirante du lien entre capitalisme et comptabilité.

Or la spécificité de la comptabilité moderne est ailleurs. Elle réside dans l’hégémonie de normes internationales, connues sous l’acronyme IFRS et édictées par l’Isab (International Accounting Standards Board ou Bureau international des normes comptables). « Le conseil d’administration de l’Isab comprend 14 membres, représentants de grands groupes multinationaux et de cabinets d’audit internationaux. » Sa lecture néolibérale de l’économie se perçoit dans les options (soi-disant objectives) décidées pour l’établissement de l’IFRS. Ainsi, les externalités écologiques n’y sont aucunement valorisées, tout comme l’expertise humaine, alors que le commerce de la drogue y figure. Plus inquiétant : toutes les institutions ou entreprises privées internationales ainsi que les États sont soumis à cet ensemble de normes, ne fusse que pour prétendre aux marchés financiers. On constate alors une double perte de souveraineté des nations et des collectivités, d’abord en se soumettant aux normes internationales, ensuite en confiant l’établissement de ces normes à un organisme privé non représentatif.

La dernière partie de l’ouvrage essaie de penser des normes comptables qui valorisent le commun, à savoir le principe qui « détermine ce qui est inappropriable et réservé à l’usage commun ». Le modèle intégratif, décrit dans l’ouvrage, met en avant la valeur d’existence des ressources naturelles et humaines. Ce sont ces dernières qui sont le véritable capital à protéger dans une économie durable. Mais cela n’est possible que dans un système politique lui-aussi réinventé, mettant à l’avant-plan humanité et nature. L’auteur déploie ainsi le projet politique d’un fédéralisme intégral, fondé sur les principes de subsidiarité et de planification démocratique participative.

Marcel Rémon
13 février 2020
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