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Les besoins artificiels Comment sortir du consumérisme

Razmig Keucheyan La Découverte, 2019, 208 p., 18 €

Professeur de sociologie, Razmig Keucheyan est un « intellectuel engagé ». Proche du Nouveau parti anti-capitaliste (NPA) puis de la France Insoumise, il entend contribuer à la pensée politique de la gauche radicale. Dans cet ouvrage comme dans le précédent (La nature est un champ de bataille), il croise questions écologiques et lutte des classes : pour écologiser nos sociétés, il faut politiser « les besoins » par une association producteurs-consommateurs révolutionnaire.

Après un long détour sur l’émergence d’un « droit à l’obscurité », l’auteur s’attache à montrer comment les besoins sont circonstanciés : par le système économique, les capacités techniques, etc. Même les besoins biologiques sont socialement déterminés. L’enjeu est ainsi de faire émerger dans la société des besoins authentiques, contre des besoins artificiels. « Le besoin est révolutionnaire en germe », jugeait André Gorz. Le capitalisme produit des biens qui prétendent répondre à des besoins mais empêchent en réalité d’assouvir des besoins authentiques : ainsi, les vols low-cost et le tourisme de masse mettent à mal le besoin de logement ou l’authenticité des lieux de vie.

Razmig Keucheyan appelle les milieux populaires à reprendre la main sur la définition des besoins, avec André Gorz encore : « Seul est digne de toi ce qui est bon pour tous. » D’où plusieurs propositions : la garantie d’abord, présentée comme « la lutte des classes appliquée à la durée de vie des objets ». À partir de cette garantie, dont il dresse l’histoire et les évolutions, il s’agit de « stabiliser le système des objets pour libérer les besoins authentiques des besoins artificiellement créés par le marché ». Une deuxième proposition porte sur l’alliance entre mouvement écologiste et mouvement ouvrier, à travers des associations de consommateurs, liant la question de la consommation à celle de la production.

Ce tableau s’accompagne de nombreux détours par l’histoire ou diverses réflexions philosophiques, pas toujours nécessaires, jamais désagréables. On s’étonnera cependant de quelques impasses : le système publicitaire et son rôle idéologique ne sont qu’à peine abordés. La définition des besoins demeure bien laconique : « Au sein de [ces collectifs consommateurs - producteurs], la (re) définition des besoins est dialogique et non ontologique. » Mais rien ne dit que des institutions démocratiques garantissent des choix qui respectent les limites planétaires, surtout si on prend au sérieux la profondeur de l’aliénation qu’a suscité la technique – un autre impensé de l’auteur.

Joseph d’Halluin
14 février 2020
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