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L’individu contre le collectif
Qu’arrive-t-il à nos institutions ?

Robert Lafore Presses de l’EHESP, 2019, 243 p., 28€.

Le titre du livre l’annonce : Robert Lafore traitera de la dialectique entre l’individuel et le collectif et plus exactement du combat du premier contre le second. L’auteur explicite cette lutte à travers les répercussions sur nos institutions. Le premier chapitre s’intéresse à la notion même d’institution, travaillée par ces rapports réciproques. La référence première est ici la dialectique hégélienne du particulier et de l’universel. Mais elle est complétée par celles de juristes et de sociologues qui l’inscrivent dans la modernité du XXe siècle. L’institution doit objectiver, cristalliser, voire canaliser les tensions qui existent entre l’individuel et le collectif. Ce schème de départ, certes un peu abstrait, s’habille au cours de l’ouvrage de développements successifs.

Robert Lafore se concentre en particulier sur l’institution incontournable qu’est l’État, revient sur sa formation et sur son rôle en France vis-à-vis de la société et de ses individus. Un rôle qui se perfectionne en cernant davantage la population selon le modèle wébérien de bureaucratie légale rationnelle. Mais qui débouche sur le développement de l’État social (surtout après la Seconde Guerre mondiale). Or celui-ci, pour mieux répondre aux aspirations, aux revendications et aux droits de ses citoyens, est appelé à davantage s’adapter à eux. Dès lors, un basculement commence à s’opérer au profit de l’individu. D’où un nouvel essor des critiques à l’encontre de l’État (c’est l’objet du troisième chapitre) – celles-ci visent aussi bien son contrôle excessif sur la société que les limites imposées à l’expression des subjectivités de chacun. Étrangement, il semblerait que ce soit les enfants mêmes de la démocratie libérale qui l’aient le plus déstabilisée. Ils ont su s’approprier les droits individuels qui leur étaient destinés mais au détriment du collectif. Ainsi l’individualisme s’affirme-t-il de plus en plus. La postmodernité fait son entrée à la fin des Trente Glorieuses. Mais les crises que connaissent les démocraties occidentales ne sont pas seulement économiques mais aussi politiques (d’autorité, de légitimité, etc.).

L’auteur se livre à une analyse des mutations que connaît l’État pour faire face à cette nouvelle configuration déséquilibrée en faveur des individus.

D’où, ensuite, une analyse des mutations que connaît l’État pour faire face à cette nouvelle configuration déséquilibrée en faveur des individus. Les droits de l’homme trouvent une certaine consécration, les régimes socialistes se délitent, d’autres modalités d’interventions publiques sont conçues, plus inclusives (notamment du privé), moins autoritaires : le recours aux contrats, à la gouvernance, etc. L’État se repositionne pour mieux composer avec la société civile. Les institutions se doivent d’être plus « gazeuses » ou « nébuleuses ». Robert Lafore se réfère fréquemment aux travaux de Marcel Gauchet, mais propose aussi tout un panorama des différentes théories, avec leurs limites, qui traitent de cette tension entre l’individuel et le collectif. On regrettera, à ce propos, que l’ancrage spatio-temporel de ces théories ne soit que peu relevé. Il aurait permis de mieux les situer dans leur contexte.

Si l’individu se servait du collectif comme marchepied pour mieux s’affirmer, ne semble-t-il pas aujourd’hui le piétiner ?

Dans ce tableau, les considérations juridiques ne sont pas omises – elles ont été les cadres dans lesquels devaient s’exprimer l’individuel et le collectif. Mais c’est ici l’approche sociologique qui est privilégiée, qui pèse en amont sur la conception de cette norme : les individus participent davantage à sa conception ou s’émancipent à son égard. Dès lors, dans nos sociétés, la confrontation entre l’individu et le collectif voit le premier l’emporter sur le second. Si l’individu se servait du collectif comme marchepied pour mieux s’affirmer, ne semble-t-il pas aujourd’hui le piétiner ? Pour autant, Robert Lafore ne verse pas dans une nostalgie. Il entend, à partir de ce vaste panorama, mieux comprendre la situation actuelle pour pouvoir agir sur elle. Le dernier chapitre s’interroge : comment refaire institution ? Reprenant les évolutions présentées, l’enjeu est de sortir des impasses. Et de ne pas exclure toute reformulation du collectif, fondée sur une condition individuelle renouvelée. Robert Lafore propose trois principaux niveaux d’institution sur lesquels travailler : l’éducation, le droit et la conception de la régulation juridique et les conceptions et les pratiques dans les organisations qui structurent et rendent possible l’action collective. Ces pistes sont certes larges et générales, mais Robert Lafore ne prétend pas avancer un programme politique de solutions. Car c’est bien aux individus, chacun et ensemble, qu’il incombe de refaire les institutions. Au-delà du bilan, cet ouvrage nous éclaire alors sur cet avenir.

Nicolas Demontrond
20 décembre 2019
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