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L’Algérie à gauche (1900-1962)
Socialistes à l'époque coloniale

Claire Marynower Puf, 2018, 272 p., 22 €.

Achevée il y a cinquante-sept ans avec les accords d’Evian (1962), la guerre d’Algérie est plus éloignée de nous que ne l’était la Première Guerre mondiale pour les contemporains du conflit algérien. Pourtant, cette « guerre sans nom » ne cesse de produire une abondante littérature, tant du côté de la fiction que des sciences sociales. L’ouvrage de Claire Marynower a le mérite d’aborder l’Algérie coloniale sous un angle inédit et inattendu : celui du socialisme, un courant politique a priori peu associé à ce territoire.

Qu’est-ce qu’être socialiste dans l’Algérie coloniale ? En d’autres termes, comment être un « colonisateur de gauche » ? C’est dans le département d’Oran que l’historienne étudie cette « situation historique impossible » (Albert Memmi). À Oran, où la population européenne est majoritaire, les villes européenne et algérienne se superposent sans se mélanger. Les mariages mixtes sont rares et peu de Français parlent l’arabe. Ainsi, « les colonisateurs peuvent quasiment ignorer la population colonisée dans leur vie quotidienne ». Le profil type du socialiste d’Algérie est un homme français, instituteur, franc-maçon et athée. Les membres de la Section française de l’internationale ouvrière sont souvent également membres de la Ligue des droits de l’homme, de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme ou de la Ligue de l’enseignement. On compte peu d’Algériens parmi eux, le parti de Jaurès ne cherchant pas à les attirer, contrairement à la Confédération générale du travail. Les socialistes d’Algérie rejettent dos à dos le capitalisme colonial et le nationalisme autochtone. Leur credo : « Défendre la légitimité du fait colonial et dénoncer tout ce qui fait entrave à sa bonne application, que ce soient les abus de l’administration coloniale ou les injustices créées par le mode de production capitaliste. » Ainsi ne s’intéressent-ils aux colonisés que sous l’angle de leurs conditions matérielles de vie, dans une perspective paternaliste. L’auteur met en évidence les préjugés racistes et antisémites de nombreux socialistes.

À partir de 1930, la sphère politique algérienne s’autonomise avec l’apparition d’instances et de mouvements nationalistes tels que l’Étoile nord-africaine et le Congrès musulman. Les socialistes prônent désormais l’assimilation juridique, l’enseignement de l’arabe, la fin de la tutelle coloniale sur le culte musulman. Mais leurs propositions ne visent qu’à aménager l’entreprise coloniale. « Si émancipation des Algériens il doit y avoir, c’est dans le cadre d’une francisation assumée jusque dans ses dernières extrémités. » Une extrémité atteinte avec la politique de la guerre à outrance menée à partir de 1956 par le gouvernement du socialiste Guy Mollet.

Sous-estimant la force du sentiment national algérien, les socialistes ont cru jusqu’au bout à une Algérie française à visage humain. « C’est aussi parce que de tels groupes tenaient, au cœur de la relation coloniale, le rôle d’agents d’une forme de transaction, faisant vivre le langage de la mission civilisatrice à travers leur existence même, que cette société s’est reproduite » conclut l’auteure. On peut se demander si les historiens du futur ne diront pas la même chose du Parti socialiste actuel, s’obstinant à entretenir – au prétexte de l’aménager – un modèle capitaliste et productiviste qui, demain, paraîtra aussi indéfendable que la société coloniale.

Edwin Hatton
13 octobre 2019
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