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Les invisibles de la République Comment on sacrifie la jeunesse de la France périphérique

Salomé Berlioux et Erkki Maillard Robert Laffont, 2019, 224 p., 20 €

Une mosaïque de situations difficiles, exposées à travers les parcours scolaires et la vie sociale de jeunes vivant dans des territoires démunis : peu d’équipements culturels, de transport, d’accès aux études supérieures. Derrière ces cas apparemment anodins, c’est la vie de centaines d’adolescents confrontés à de multiples barrières que racontent Salomé Berlioux et Erkki Maillard. Bien que l’ouvrage ait été écrit avant la crise des « gilets jaunes », la situation de cette France périphérique, des territoires ruraux, des petites et moyennes villes éloignées des métropoles, y fait fortement écho. Révélé par petites touches, le portrait de ces jeunes, mais aussi de leurs familles et de leurs équipes enseignantes surprend : rien de spectaculaire dans leurs difficultés, rien qui provoque l’indignation. Contrairement aux quartiers sensibles des banlieues, une certaine fatalité et un grand silence médiatique. Pourtant, plus de 60 % de jeunes Français vivent dans ces territoires selon les auteurs, cofondateurs de l’association Chemins d’avenirs, qui accompagne des milliers de garçons et de filles issus de zones isolées. Ils soulignent que nous ne sommes pas dans une opposition ville-campagne, ni dans la relégation des classes populaires. Il s’agit au contraire de tenter de réduire cette fracture en s’appuyant sur le potentiel de cette jeunesse qui est, en quelque sorte, assignée à résidence. C’est en mobilisant toutes les énergies (services de l’État, collectivités locales, monde associatif, etc.) et en suscitant des écosystèmes locaux que la situation peut commencer à évoluer. Pas de coupable : l’enchevêtrement de freins à la mobilité est complexe et dépasse les considérations matérielles et financières. Il découle aussi de mécanismes d’autocensure : peur d’aller à la ville, de ne pas avoir les codes, de se sentir étranger. Ainsi, ce principal d’un collège d’une petite ville proche de Grenoble : « Je sais qu’ici, ils n’auront pas le choix de leur avenir ; pourtant ils restent parce qu’ils ne connaissent rien d’autre et ont peur de partir. » Peut-être l’ouvrage ne fait-il pas suffisamment ressortir la grande diversité des situations et l’ambiguïté du mot « périphérie », utilisé de façon polymorphe aussi bien pour parler des banlieues des grandes villes que des territoires ruraux très appauvris ou des villes moyennes ayant perdu l’essentiel de leurs activités. D’autant qu’une diversité de situations implique des stratégies différenciées. Cependant, par la précision des cas présentés, les auteurs sont convaincus et convaincants. Sans une prise de conscience et une politique d’émancipation au profit de ces jeunes délaissés, à l’instar de ce qui a pu être imaginé pour les banlieues, c’est le destin même du pays qui pourrait être compromis.

Jean-François Mézières
24 septembre 2019
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