« Près de neuf millions d’Américains âgés de soixante-cinq ans et plus avaient encore une activité professionnelle en 2016, soit 60% de plus qu’une décennie auparavant » (p. 84). Pendant deux ans, la journaliste Jessica Bruder a enquêté sur les « travailleurs-campeurs », qui, faute de moyens, ont renoncé à leur retraite et au confort d’une maison. Ils vivent dans une caravane ou un van, et se déplacent d’Est en Ouest, du Nord au Sud des États-Unis, au gré des emplois. Le périple de Linda May, 64 ans, constitue le fil rouge de ce récit. Une partie de l’année, elle est gardienne de camping dans des parcs nationaux ; les semaines qui précèdent Noël, elle parcourt des kilomètres dans un entrepôt Amazon pour préparer des paquets ; entre deux boulots, elle rend visite à sa fille ou retrouve sa communauté de destin, pour d’improbables rendez-vous au milieu du désert de l’Arizona. Ils sont des milliers, poussés sur les routes par la « Grande récession », la crise financière et immobilière de 2008. L’auteure dresse des parallèles avec les années 1930, lorsque la « Grande dépression » obligea des familles entières à quitter leur logement pour chercher du travail ailleurs. Si les « travailleurs-campeurs » d’aujourd’hui revendiquent la liberté nouvelle et le détachement matériel conquis grâce à leur situation, ils endurent pourtant de vraies souffrances physiques et psychiques. Les employeurs, eux, ont bien compris tout l’intérêt de cette main d’œuvre laborieuse et fiable. Les entrepôts d’Amazon, par exemple, sont entourés de campings qui leur sont destinés. Le précieux travail d’enquête mené ici par Jessica Bruder, qui va jusqu’à prendre la route au volant d’un van pour mieux comprendre ce que vivent au quotidien celles et ceux qu’elle rencontre, permet d’incarner les répercussions que peut avoir une financiarisation à outrance sur la vie des gens.