Il ne manque pas de tentatives pour repenser l’économie à distance critique de la pensée dominante. Le livre de Pierre Calame s’en distingue par le choix décisif de considérer l’économie comme une branche de la gouvernance des biens. D’où le retour à une orthographe qui a prévalu jusqu’à l’Encyclopédie en 1755 et qui renvoyait plus clairement au « gouvernement de la maison ». Cette approche est en phase avec l’importance croissante de la question des communs : il est de plus en plus évident que le bien-être et la survie de l’humanité dépendent de notre capacité à gérer solidairement un certain nombre de biens et de ressources telles que le climat, la biodiversité ou encore les grands réseaux de communication. L’intérêt d’une approche par la gouvernance des biens est de permettre d’être plus précis sur les conditions d’un « réencastrement » (Karl Polanyi) de l’économie dans la société. Trop d’ouvrages, en effet, se contentent à ce propos de considérations générales et souvent utopiques, négligeant le fait évident que moins de marché implique plus d’institutions. Pierre Calame ne se borne pas à rappeler les principales voies d’innovation socio-économique qu’il faudra emprunter pour construire une économie soutenable (économie circulaire, économie de la fonctionnalité, écologie territoriale, monnaies alternatives…), il montre que toutes ces transformations ne pourront produire pleinement leurs effets qu’à la condition de s’inscrire dans une philosophie d’ensemble de la gouvernance socio-économique, dont il formule les cinq principes : « principe de légitimité », « démocratie et citoyenneté », « recherche de processus, de procédures, d’acteurs et d’institutions réellement adaptés aux problèmes à résoudre », « coproduction du bien public » et « articulation des échelles de gouvernance ». Dans la seconde partie du livre, il indique comment ces principes peuvent être mis en œuvre pour critiquer le système actuel et concevoir une nouvelle cohérence. Fort bien construit et écrit, ce livre, parce qu’il affronte rigoureusement la complexité du réel, constitue une contribution appréciable aux réflexions sur la nécessaire transformation du système économique.
1er juin 2019