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Leurre et malheur du transhumanisme

Olivier Rey Desclée de Brouwer, 2018, 196 p., 16,90 €

Olivier Rey signe ici un ouvrage qui, de son propre aveu, « ne prétend pas à la neutralité ». Pour autant, il propose une analyse argumentée du transhumanisme, qui s’élève bien au-dessus du pamphlet. L’auteur aborde son objet sous trois angles, présentés en autant de chapitres. Tout d’abord, une analyse du projet transhumaniste et de ses promesses : se délivrer de la sexuation, de la mort, de la maladie, du conflit social ou conjugal (à coups de traitements hormonaux)... Alors que l’âge d’or futur dessiné par les Modernes tarde à venir, avec des inégalités grandissantes et des destructions environnementales, la promesse transhumaniste redonne un second souffle aux récits progressistes. Mais Olivier Rey souligne aussi l’utilité du transhumanisme pour un marché inquiet d’écouler sa production. À un consommateur suréquipé de gadgets extérieurs, on ne peut proposer que d’augmenter son propre corps. D’où les investissements faramineux dont bénéficient les technologies transhumanistes. Mais ces promesses transhumanistes sont aussi un « leurre »: « En poussant à l’extrême la mainmise de la technologie sur l’humain, les perspectives transhumanistes nous font oublier ce qu’il y a de déjà démesuré dans la domination technologique et ses progrès. » L’horizon d’une révolution transhumaniste est la diversion qui nous empêche de questionner ce qui se joue dès à présent : l’artificialisation de notre quotidien et de notre environnement. Le deuxième chapitre s’interroge sur ce qui, dans sa condition actuelle, rend l’homme si réceptif aux promesses transhumanistes. Convoquant I. Illich, J. Ellul, S. Weil, G. Anders, J.-G. Ballard ou encore G. Orwell, l’auteur analyse la promesse de l’homme « augmenté » comme une réponse à la détresse de l’homme « diminué » par une technique envahissante, incontrôlée, destructrice. Ce qu’on nous propose comme une amélioration de l’homme ressemble plutôt à un « kit de survie » en milieu hostile… Le transhumanisme se propose de soigner le mal par le mal, de réaliser « le couplage monstrueux de la surpuissance et de l’infantilisme ». Et Olivier Rey de rappeler au lecteur une phrase de Nietzsche : « Une ère de barbarie commence, et les sciences seront à son service ». Enfin, dans un troisième chapitre, qui est le passage le plus ardu – et le plus ambitieux – de l’ouvrage, le philosophe des sciences explore les racines du transhumanisme. Contre les sciences anciennes, les sciences modernes ne prennent plus appui sur l’objet qu’elles cherchent à connaître, mais sur la méthode qu’elles utilisent : « L’univers est écrit en caractères mathématiques » disait Galilée. Cette redéfinition radicale tend à effacer la spécificité des êtres vivants. On est réduit – à la suite de Descartes – à les comparer à des machines, que l’on peut modifier à volonté, comme la matière inanimée. Bacon et ses successeurs ont voulu évacuer la recherche des fins naturelles, considérées comme stériles, pour s’en remettre à la seule mécanique. Pourtant, les biologistes ne peuvent nier cette sorte de fin propre vers laquelle tend chaque être vivant. Les voilà obligés de réduire le vivant à une fin minimale : l’autoconservation. De cette mentalité technicienne, compétitive et survivaliste, voire eugéniste, le transhumanisme est comme l’aboutissement. Conséquence de la concision de l’ouvrage, de l’érudition, du parti pris assumé et de l’habileté de l’auteur, ce livre ne suffit pas à se forger un avis complet sur le(s) transhumanisme(s) – et ce n’est pas sa vocation. Charge au lecteur de mettre au clair ce brillant foisonnement de démonstrations parfois enchevêtrées, ou seulement esquissées, en poursuivant sa lecture à partir des références que l’auteur égrène généreusement au fil des pages.

Louis de Bonnault
29 mai 2019
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