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Sur la religion

Rémi Brague Flammarion, 2018, 234 p., 19 €

Ce livre de Rémi Brague sur la religion est une référence, pleine d’érudition, qui aide à mieux comprendre la réalité complexe sous un mot simple, et la contribution des religions à la vie en société. Recueil de textes antérieurs pour la plupart, revus et augmentés, l’ouvrage apporte un éclairage opportun sur un sujet parfois tabou dans le contexte actuel, marqué par une méfiance diffuse à l’égard du religieux. Son positionnement philosophique mérite d’être souligné : c’est l’essence même des religions qui est recherchée, « ce qui fait que les chrétiens sont chrétiens, les juifs juifs, les musulmans musulmans » (p. 9), plutôt que la pluralité de leurs interprétations. Les différences théologiques, éthiques ou spirituelles entre branches ou courants au sein d’une même religion sont ainsi peu présentes dans l’enquête menée au fil des pages.

Le philosophe interroge l’histoire du mot et son contenu en cherchant à définir ce qui fait le propre d’une religion : pas seulement l’affirmation d’une transcendance, mais aussi l’existence d’une voie d’accès à celle-ci, la conjugaison « d’articles de foi et actes de culte » (p. 19). Elle se distingue par-là du déisme philosophique, comme des idéologies athées qui singent les pratiques religieuses. Dans le premier chapitre, Brague embrasse trois siècles de critiques de la religion ou de théories explicatives depuis les Lumières et il pointe la résurgence systématique du religieux, que l’on avait parfois cru dépassé. La Révolution française chassait le christianisme pour mieux fonder un nouveau culte de l’Être suprême. Au XIXe siècle, Auguste Comte créait une nouvelle religion de l’humanité pour contrebalancer le positivisme scientifique. De nos jours, la question religieuse revient à plus forte raison lorsqu’il s’agit de fonder la dignité humaine et trouver de justes raisons de perpétuer l’espèce humaine en péril sur la Terre.

Les trois principaux monothéismes sont décryptés dans leurs rapports au droit, à la rationalité, au pouvoir politique et à la violence, sans prétention à l’exhaustivité. Ces chapitres s’astreignent à l’exercice délicat, voire périlleux, de faire parler l’islam d’une seule voix sur ces sujets. Sur le terrain de la rationalité, le philosophe avance la thèse d’une soumission chrétienne de la raison à l’objet de la révélation, pour penser ensuite celle-ci. À l’inverse de l’islam, qui privilégierait l’usage de la raison dans l’accès à la vérité divine pour se soumettre ensuite. Sur le plan juridique, sont affirmées la vocation universelle de la charia (p. 143) et l’interdiction formelle de l’apostasie (p. 191) en terre d’islam : deux principes qui heurtent la conception occidentale des droits de l’Homme. Pour aborder le sujet de la violence, Brague dissocie les adeptes et leurs revendications d’un côté, de la religion qu’ils professent de l’autre. Aussi bien, la question de savoir si les religions incitent les hommes à être violents se pose-t-elle pour toutes les traditions religieuses, à toutes les époques. La réponse apportée met en avant la complexité du phénomène humain et l’intrication des motivations de tous ordres. La tentation est ainsi fréquente d’incriminer le religieux en lieu et place de sa perversion par le politique, omniprésent lorsque se mêlent des questions de pouvoir.

Sur le plan de l’histoire des idées, on trouvera encore deux contributions originales et stimulantes pour la compréhension du monde contemporain. Un chapitre sur « les racines bibliques de l’idée occidentale de liberté », où Brague montre comment la conception de la liberté par l’Occident est intimement liée au respect de la nature des choses et des êtres vivants par Dieu dans la Genèse. De quoi inspirer une théologie écologique pour notre temps ? Dans le chapitre consacré aux liens entre l’Église et l’État, on trouve aussi une petite « préhistoire juive de l’Eglise » méconnue. L’historien des idées montre ici comment la communauté juive de croyants a peu à peu construit un « genre original de socialité » qui a donné naissance, à l’époque chrétienne, à l’institution ecclésiale. En somme, ce livre, qui ouvre à la réflexion et au débat, est une lecture très recommandable à tout homme de bonne foi, qu’il soit religieux ou athée.

François-Xavier Connen
1er mars 2019
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