Le monde privé des femmes Genre et habitat dans la société française
Catherine Bonvalet, Pascale Dietrich-Ragon et Anne Lambert (dir.) Éditions de l’Ined, 2018, 288 p., 22 €Cet ouvrage collectif constitue sans doute un jalon dans la réflexion sur la construction matérielle et spatiale du genre, ici appréhendée à travers l’habitat. Du patrimoine immobilier aux squats féministes, ce dernier est envisagé à la fois comme produit des rapports de genre et comme participant à leur structuration. S’il est avant tout question du logement, les auteurs montrent les limites à le considérer comme lieu de vie exclusif et à ne se centrer que sur la catégorie statistique du ménage, tant les réalités vécues sont autres : « système résidentiel », « multilocalité », « famille-entourage », « front de parenté »… sont quelques-unes des notions tentant de mieux les décrire. Les cadres théoriques et méthodologiques de l’ouvrage sont particulièrement soignés. Après une ouverture sur la recherche et l’activisme féministes au Québec (Damaris Rose), les études, à quelques exceptions près, portent sur la France contemporaine, et surtout sur les milieux populaires. Elles ont plusieurs points communs, bien mis en exergue dans la préface d’Olivier Schwartz, sociologue auquel on doit le fameux Le monde privé des ouvriers (1990). On en soulignera quelques-uns. Au-delà de ce qui les réunit, les inégalités sont marquées entre les femmes, selon leur statut social mais aussi selon leur statut matrimonial et familial. Et l’espace dans lequel s’inscrit leur habitat compte énormément : urbain, périurbain (Lionel Rougé) ou rural. Benoit Coquard rappelle ainsi la précarité matérielle des femmes vivant en milieu rural dans le Grand Est, fortement touchées par le chômage : entre 40 et 70 % pour les jeunes femmes, soit deux fois plus que pour les hommes de la même classe d’âge. Surtout, ce qui frappe est la profonde ambivalence, « entre subordination et ressources », que constitue l’habitat. La gestion du budget, par exemple, est un pouvoir paradoxal pour des femmes de classes populaires d’une « zone urbaine sensible ». Concluons avec Michel Bozon : « Pour les femmes, le logement est une charge et une responsabilité, en même temps qu’un point d’appui, une ressource personnelle, un vecteur d’identification. En ce sens, on peut dire qu’elles sont plus « habitées » par l’espace privé que les hommes ».
24 décembre 2018