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Le temps de l’indignation

Daniel Innerarity Le Bord de l’eau, 2018, 292 p., 22 €

En ces temps de mobilisation (des « gilets jaunes » par exemple), la lecture d’un ouvrage tel que celui-ci permet de prendre du recul et de s’interroger sur les transformations profondes de l’espace public. Quelle est la portée de ces nouveaux mouvements sociaux ? En quoi remettent-ils en cause les institutions politiques traditionnelles ? Peuvent-ils réellement les changer ? Le philosophe Daniel Innerarity, qui s’attache depuis de nombreuses années à comprendre les métamorphoses de la politique, propose de prendre le temps de la pensée plutôt que de céder à l’urgence de l’action. Son parti pris est simple : si l’indignation n’est que l’expression d’une frustration collective, elle prend le risque de l’égarement. Car, en formulant des reproches (pour la plupart justifiés) à l’égard de la démocratie représentative et de ses élus, l’indignation finit par rejeter en bloc l’idée même de politique. Face à cette attitude radicale, l’auteur se propose non pas de réhabiliter la politique, mais plutôt de l’expliquer, c’est-à-dire d’examiner les préjugés qui l’entachent afin de remettre en chantier son analyse. Ainsi, à contre-courant des essais à la mode, Daniel Innerarity refuse de contribuer à l’écriture du « mythe » des nouveaux mouvements sociaux. Il préfère plutôt déconstruire leur posture pour revenir à des questions essentielles : qui fait la politique ? Comment la politique permet-elle de vivre les désaccords dans l’espace public ? Quelle est la place de la morale en politique ? L’exercice de questionnement est parfaitement légitime et bienvenu, mais il manque peut-être de cohérence. Si l’auteur est en effet prompt à critiquer les préjugés des citoyens indignés, il n’applique guère le même regard à ses propres idées et à la façon dont il perçoit lui-même les nouveaux mouvements sociaux. L’ouvrage compte ainsi de nombreuses références extrêmement péjoratives (et non questionnées) aux militants de ces mouvements, accusés « d’agitation superficielle » voire de « pseudo-activité ». L’ouvrage est ainsi travaillé par cette contradiction entre son programme critique et sa posture conservatrice. Et, à sa lecture, on peut parfaitement souscrire au travail de structuration philosophique du champ politique, mais s’étonner de certaines thèses de l’auteur, dont les prémisses sont discutables.

Jean-Michel Knutsen
21 décembre 2018
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