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Parcours de travailleurs dans une économie mondialisée

Philippe Frocrain et Eugénie Tenezakis La Fabrique de l'industrie, 2018, 92 p., 22 €

L’industrie française est-elle aussi fragile face à la mondialisation qu’on l’affirme ici et là ? Contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre de l’ouvrage, la question est envisagée ici à partir d’une perspective macroéconomique plus qu'individuelle. Les auteurs ont eu accès aux données de plusieurs centaines de milliers de travailleurs sur la période 1998-2010, ce qui rend leur étude particulièrement intéressante. Cependant, la lecture de l’ouvrage n’est pas toujours aisée par l'usage de techniques statistiques avancées (modèle probit, classification via l’indice de Gini…). Elle est également déroutante tant les conclusions semblent éloignées du sens commun. Ainsi, dans le premier chapitre : « Notre étude montre que le risque d’être licencié est plus faible lorsqu’on travaille dans un secteur exposé à la concurrence internationale, ce qui semble contre-intuitif ». Si les auteurs disent bien que la mondialisation « modifie la structure du marché du travail plus qu’elle n’en affecte le volume », on reste dubitatif quant à cette non influence de la mondialisation sur le volume de l’emploi. Il suffit de lire le commentaire (en fin de livre) de Dimitri Pleplé sur son « tour de France des usines à vélo » et le résumé de l’étude de Léa Toulemon et Lexane Weber-Baghdiguian sur la trajectoire des travailleurs en Allemagne (2016), où « le secteur des services est relativement protégé des licenciements économiques, alors que les secteurs du commerce, de la construction et de l’industrie manufacturière sont les plus touchés ». L’explication de cette différence semble provenir de la définition utilisée (créée) par les auteurs pour séparer les secteurs exposés à la mondialisation et ceux qui sont abrités, selon leur concentration ou leur diffusion sur le territoire français : l’industrie automobile sera exposée et la coiffure abritée. D’autres paramètres que la simple répartition géographique ne jouent-ils pas, tels que la nature (matérielle ou immatérielle) du produit ou la rareté des clients potentiels ? Le second et dernier chapitre, qui analyse les retours à l’emploi à la suite d'un licenciement économique collectif, conforterait cette intuition : les salariés des secteurs manufacturiers ont plus de difficulté à se réinsérer que ceux des services exposés ou abrités. Cela est dû à « la concentration géographique des activités et à l’importance du capital humain spécifique dans les métiers industriels ». La majorité des salariés licenciés du monde manufacturier retrouvent un emploi dans un autre secteur de l’industrie ou dans le service aux entreprises, mais au prix d’une diminution drastique de leur revenu. La conclusion « Quelles politiques pour accompagner le retour à l’emploi des travailleurs licenciés ? » prône la formation pour rendre plus mobiles les travailleurs du monde industriel français. Intéressant par la richesse des données et des graphiques, ce livre pourrait laisser cependant un sentiment de malaise, tant le principe de la mondialisation est considéré comme un acquis. C’est aux travailleurs, voire aux industries elles-mêmes, de se conformer à ses exigences de mobilité. Une vision complémentaire, plus audacieuse et stratégique, eût été bienvenue…

Marcel Rémon
8 novembre 2018
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