Spécialiste reconnu d’Édouard Glissant, le philosophe François Noudelmann nous propose dans L’entretien du monde une série de conversations, privées ou radiophoniques, au cours desquelles ils abordent les thèmes les plus célèbres de l’écrivain martiniquais. La philosophie de la relation, qui irrigue toute son œuvre poétique, romanesque et critique, est ainsi définie comme la défense d’un certain type de lien, dynamique et interindividuel, qui transcende les particularismes culturels pour s’établir à l’âge nouveau de la « mondialité ». Celle-ci est bien distincte de la mondialisation, laquelle reproduit les schèmes impérialistes de domination verticale (sous l’angle de la contrainte politique ou de l’accaparement économique). La créolisation, qui ne se limite pas aux sphères culturelle et linguistique mais s’étend à tout type de métissage entre individus et engage le devenir politique d’une communauté, est un concept qui vient concurrencer la « nation ». À rebours d’une vision figée et clivante de l’État garant de l’unicité et de l’unité nationales, excluant tous ceux qui ne rentrent pas dans ce cadre pour des raisons historiques ou culturelles, Édouard Glissant défend le principe du métissage des communautés. Le modèle de la société américaine en est le modèle initial, quoiqu’encore loin d’être abouti. La seconde partie de l’ouvrage est constituée d’articles publiés par François Noudelmann depuis 2004. Ils reprennent et condensent les grands thèmes de l’écrivain, tels la pensée « archipélique » (proche de la pensée rhizomatique introduite par Deleuze et Guattari), le Tout-Monde et, de nouveau, la philosophie et la poétique de la relation. La vision postcoloniale d’Édouard Glissant, résolument engagée contre toutes les formes d’impérialisme, reçoit ici un éclairage nouveau qui en précise les contours sans hésiter, avec finesse et prudence, à en souligner les limites.