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Le destin de l’Europe

Ivan Krastev Premier Parallèle, 2017, 160 p., 16 €

Qu’en est-il, pour l’Europe, alors que les imaginaires sociaux se retrouvent pris dans une incertitude paralysante ? Est-il raisonnable de penser ce moment comme celui d’une possible désintégration de l’Europe, d’où viendrait une étrange sensation de déjà vu, si l’on se souvient de celle de l’URSS ? Ivan Krastev élabore une méditation argumentée à propos du point où en est l’Europe actuellement : travail utile de lucidité critique, nécessaire avant d’envisager des « solutions » ou des politiques. La pensée procède par faits et citations – manière concrète de réfléchir que permet la langue anglaise dans laquelle l’original du livre est écrit. L’échec du libéralisme à traiter le problème migratoire oblige à concevoir l’avenir autrement et à réinterpréter le passé. Il a révélé un monde riche en expériences, mais incapable d’instaurer des identités stables et des loyautés véritables. Malgré la référence constante aux droits de l’homme pour tenter de faire face aux mouvements migratoires, l’Europe est passée d’une question juridique et économique à une problématique sécuritaire. Les frontières ouvertes ne sont plus un signe de liberté, mais un risque d’insécurité. Le sentiment d’une situation hors de tout contrôle a alimenté une révolte contre la tolérance et renforcé l’impression d’une menace normative, contre l’ordre moral. Elle met à dure épreuve les sentiments de solidarité nationale. Alors que les élites politiques s’efforcent de redéfinir la démocratie et la souveraineté afin de rendre possible ce qui est en fait impossible, les gens se sentent non point acteurs de l’Histoire, mais bien pauvres spectateurs. D’où un triple paradoxe. Au centre de l’Europe, les électorats d’Europe centrale qui ne sont point hostiles à l’Europe, portent cependant au pouvoir des gouvernements hostiles à l’Union Européenne. Les formations populistes promettent des victoires sans ambiguïté et les majorités menacées deviennent la force politique majeure. À l’ouest de l’Europe, la mobilisation des jeunes générations n’a pas conduit à un mouvement populaire pan-européen ; les mouvements peinent à avoir un impact et à s’inscrire dans la durée. Il s’agit donc d’une participation sans représentation. Par rapport à Bruxelles, le paradoxe tient à ce que les élites pourtant les plus méritocratiques suscitent le plus grand mécontentement. Aux yeux des détracteurs, ce ne sont point tant les compétences qui assurent un leadership pertinent, mais une loyauté inconditionnelle, une exigence de sacrifice et de loyauté – grand attrait des populismes. Ce ne sera pas non plus l’usage du référendum, censé donner la voix au « peuple », qui résoudra le moment actuel, comme on l’a vu avec le référendum en Italie de Matteo Renzi, au Royaume-Uni avec celui de David Cameron ou en Hongrie avec Viktor Orban. Au fond, l’Union européenne a beaucoup trop de « policies », mais bien trop peu de « politics ». L’Europe est-elle en survie ? Si tel est le cas, alors il lui faut pratiquer l’art de l'improvisation constante.

Jean-Marie Carrière
27 juin 2018
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