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Croire à l’incroyable. Un sociologue à la Cour nationale du droit d’asile

Smaïn Laacher Gallimard, 2018, 192 p., 18 €

L’audience à la Cour nationale du droit d’asile, où le demandeur d’asile conteste la décision de refus opposée par l’Ofpra, est un moment crucial, celui de la dernière chance, pour le requérant. Elle fait apparaître par là même, comme lieu où doit se faire une vérité, quelques-unes des tensions majeures autour de l’accès à une protection internationale. Et d'abord, une paradoxale immobilité du droit, qui peine à s’adapter aux conditions nouvelles qui poussent à demander l’asile. Ensuite, l’incommensurabilité entre le monde des requérants et le monde des juges : le requérant pense « micro », dans le cadre de la singularité de son histoire, alors que les juges pensent « macro » : ils sont très informés sur les situations plus globales dans les pays, ce qui rend plus difficile l’inscription d’une histoire personnelle dans un contexte plus large. De fait, le requérant se trouve en difficulté pour prouver l’injustice dont il est victime et il ne dispose pas non plus des moyens pour la réparer. De plus, la définition stricte de la Convention de Genève, qui spécifie la violence subie comme persécution, ne permet pas de prendre en compte les nombreuses violences subies par le demandeur, non seulement dans son pays, mais aussi durant son parcours. La chose est particulièrement dramatique pour les femmes qui sollicitent l’asile et dont le déplacement est un chemin de souffrances indicibles. Les juges, enfin, sont tenus d’évaluer la véracité du récit du requérant, de telle sorte qu’il constitue une preuve qui autorise à énoncer un jugement. La montée en puissance de la preuve souveraine se fait au détriment de la preuve morale, cœur de la faveur que sollicite le demandeur d’asile. Smaïn Laacher, « sociologue à la cour, sociologue sans terrain », a été lui-même juge à la CNDA pendant une quinzaine d’années, au titre d’assesseur du HCR. A la différence d’une description strictement sociologique du fonctionnement de la Cour (par exemple Fassin & Kobelinsky, Revue française de sociologie 2012), l’intérêt de l’ouvrage réside dans la réflexion sur les procédures et sur les personnes qui y tiennent chacune leur rôle ; on accède ainsi à une belle intelligence de ce qui anime le demandeur d’asile, qui sollicite de manière singulière les juges de la Cour.

Jean-Marie Carrière
10 juin 2018
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