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La jungle de Calais. Les migrants, la frontière et le camp

Michel Agier (dir.) Puf, 2018, 224 p., 19 €

Qu’est-ce qui fait de Calais un lieu-moment hautement représentatif de la faillite des politiques migratoires, non seulement à un niveau local ou national, mais aussi au niveau européen ? L’histoire et la réalité de la « jungle » l’explicitent clairement. Cette « jungle » (un mot exotique qui provient d’une déformation du terme pashtoun djungal, un coin de bois !) n’aura existé qu’un an et demi, entre avril 2015 et octobre 2016. Mais son autorisation, sa construction, son évolution et enfin son démantèlement révèlent le camp comme une hypertrophie de la frontière tout autant que la cosmopolitique qui la constitue. Il faut commencer par situer ce lieu quasi urbain dans la longue histoire de l’errance des migrants dans la région du Calaisis sur plus de trente ans, entre 1986 et 2016. Puis, grâce à Cyrille Hanappe, architecte, s’interroger sur ce que signifie habiter les jungles et les camps ; la particularité de la jungle de 2015-2016 étant de mettre au jour le processus – très rapide, en fait – de formation d’une ville, avec ses habitats diversifiés selon les populations, ses commerces et ses lieux d’échange, voire l’art qui l’anime et magnifie son identité. D’un point de vue plus sociologique, la ville-bidonville abrite des manières de vivre dans un espace précaire, stratégies très dynamiques de survie à partir de très peu, qui pèsent sur la possibilité de faire cité. Troisième aspect de la jungle : celui d’être un carrefour cosmopolite de solidarités. Le tissu associatif régional, déjà riche et ancien, a dû s’adapter à l’internationalisation des acteurs, avec des ONGs transnationales comme avec un grand nombre de bénévoles, jeunes, en provenance de divers pays : les « accidental activists ». Mouvements larges de soutien aux migrants, sporadiquement enrayés par les actions violentes de groupes d’extrême-droite. Tout au long de ce document – construit comme une enquête de première main et fruit d’une entreprise interdisciplinaire – s’imposent les effets négatifs, pour ne pas dire plus, des politiques municipales, nationales voire internationales (traité du Touquet). Peut-être, d’ailleurs, un chapitre d’analyse proprement politique de ces effets sur la vie et l’histoire de la jungle aurait pu être envisagé. Mais, comme le dit Michel Agier, ce document permet de « mettre en regard ce que les villes font aux migrants (rejet ici, accueil là), et ce que les migrants font à la ville et à ses habitants les plus établis ». La « jungle », d’existence brève et vite disparue, reste le témoin mémoriel d’une réciprocité.

Jean-Marie Carrière
16 juin 2018
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