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Remplacer l’humain. Critique de l’automatisation de la société

Nicholas Carr L’échappée, 2017, 268 p., 19 €

Nicholas Carr s’est fait connaître en 2008 par un article de fond publié dans The Atlantic : « Is Google making us stupid ? What the Internet is doing to our brains » (« Google nous rend-il stupide ? Des effets de l’internet sur notre cerveau »). Il développe depuis, avec d’autres (comme Éric Sadin, publié par la même maison d’édition), une réflexion critique sur le numérique. Dans Remplacer l’humain. Critique de l’automatisation de la société, il se penche sur les problèmes soulevés par l’automatisation, l’utilisation d’ordinateurs, de capteurs et de robots, de logiciels et d’algorithmes, pour effectuer des tâches, dans la vie privée comme dans la vie professionnelle. Très documenté, nourri de nombreux exemples, l’essai est porté par une analogie : les transformations de l’aviation sont vues comme « les signes avant-coureurs de l’évolution de notre société ». Si les gains apportés par le développement inouï du pilotage automatique sont évidents, celui-ci conduit aussi à « l’érosion des compétences », « l’engourdissement des sens » et « la baisse de la réactivité » des pilotes, responsables de récents accidents. Tous les métiers sont touchés par l’automatisation, et nombre d’entre eux sont menacés de déqualification ou tout simplement de disparition – même si, comme le rappelle Nicholas Carr, la notion de chômage technologique est déjà ancienne (1930). Plus fondamentalement, l’automatisation a tendance à couper les individus de leur environnement concret et entraîne une perte d’autonomie, comme le montre l’usage du GPS chez les Inuits ou dans les métropoles états-uniennes. On assiste là à l’une des formes du « mythe de la substitution » : les GPS ne se substituent pas aux cartes traditionnelles, mais (re)modèlent notre appréhension et notre intelligence de l’espace. Dans de nombreux domaines, la simplification extrême des tâches, l’absence de sollicitation permise par l’automatisation, « court-circuitent les mécanismes d’apprentissage, l’acquisition de nouvelles compétences et le processus de mémorisation ». Elle peut aussi nuire à la créativité, comme dans le cas de la conception assistée par ordinateur (CAO) pour l’architecture. Le raisonnement est poussé jusqu’aux questions éthiques et morales que pose un monde de plus en plus automatisé : comment réagirait une voiture sans conducteur en cas d’imprévu (un enfant tombant sur la chaussée par exemple) ? Loin d’être technophobe, ce livre prend au sérieux les rôles des technologies dans nos vies ; Nicholas Carr propose d’arrêter de les considérer comme une force simplement positive et autorégulatrice, comme un progrès univoque, comme un destin.

Jean Vettraino
15 février 2018
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