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Engageons-nous en fraternité

Jean-François Serres Le Pommier, 2017, 128 p., 13 €

Engageons-nous en fraternité est un appel à nous relier d’urgence les uns aux autres, pour enrayer le processus d’atomisation croissant dans nos sociétés technologiquement évoluées et dites sociétés de communication. Jamais on n’a tant vénéré le dieu communication et jamais on n’a constaté autant de laissés pour compte en matière de vraie relation. L’isolement gangrène un tissu social qui chaque jour se délabre un peu plus. La solitude subie n’est pas la solitude choisie. Jean-François Serres n’hésite pas à appeler de ses vœux une « écologie du lien social », en vertu de ce qui nous façonne tous : l’être de relation, mis à mal, négligé au point de se trouver détruit.

J.-F. Serres est un praticien engagé dans un combat contre les monstres engendrés par nos sociétés : précarisation, pauvreté, isolement et mort lente de ceux que la vie semble avoir condamnés. Après huit années dédiées à l’action sociale dans les quartiers sensibles en Seine-Saint-Denis au sein d’Emmaüs, il rejoint les petits frères des Pauvres, où il se consacre au développement social de zones urbaines sensibles en banlieue parisienne, avant d’en devenir le délégué général. Il œuvre in concreto à la restauration, voire à la création du lien social. Il est également le référent national de la mission – devenue association – visant à « une mobilisation nationale contre l’isolement des personnes âgées » (Monalisa). Il est également membre du Conseil économique, social et environnemental.

Nous avons pris conscience, il y a peu, de la fragilité de la terre qui nous héberge, de la fragilité du climat, de la mer, de la biodiversité. En exploitant le monde, nous l’avons fragilisé au point de peu à peu le détruire. La nécessité d’une transition écologique est aujourd’hui de notoriété publique. Mais qu’en est-il de notre regard sur la question sociale ? L’écosystème relationnel forme « un socle social épais et producteur naturel de convivialité, mais il est aussi source de protection et de résilience ». En aucun cas la relation humaine n’est réductible à une marchandise.

Ce livre est avant tout celui d’un citoyen engagé, d’un penseur « de terrain » au service actif de la solidarité. J.-F. Serres n’hésite pas non plus à cibler les dérives communautaires qui peuvent faire illusion un temps. Elles procèdent d’une même culture de l’isolement, du repli sur soi, collectif cette fois. La joie se vit alors dans les « entre soi » et non dans les espaces publics ou la culture commune. Que faire pour qu’elle revive au grand jour, dans le corps social ?

Émaillé de passages autobiographiques éclairants sur les chemins empruntés pour créer « la société des hommes », scellée dans une relation d’accueil pleinement ouvert à la diversité, Engageons-nous en fraternité revisite la prescription éthique de l’amour du prochain. « Bienveillance et sollicitude » constituent la règle d’or, qui réconcilie « ceux qui croient et ceux qui ne croient pas ». Elle met en exergue la « dimension sacrée » de la relation. Celle-ci impose de perdre du temps avec nos frères, les hommes, elle œuvre à la restauration de la confiance en l’autre, fût-il jugé « étrange », vu comme dispensant l’insécurité, la peur, entraînant un jugement de condamnation, parfois sans appel. Non, « l’autre étrange », le différent de moi, n’est pas « un ogre potentiel ».

L’analyse des raisons possibles du terrorisme est un des points forts de l’ouvrage. L’auteur y voit l’un des fruits mortifère de l’isolement social, ciblant la logique de haine ancrée dans le sentiment d’un injuste rejet. Il en appelle aux valeurs de la République pour mettre un terme au mépris qui nourrit la haine. Liberté, égalité, fraternité, érigées au rang de prescriptions éthiques et politiques de l’humanité ? La laïcité, refus de l’hégémonie religieuse, terreau de florescence du lien social ? Valeurs non seulement locales, mais universalisables ? Il faut tout mettre en œuvre pour que chacun puisse à nouveau compter « sur » et « pour » quelqu’un.

Trois combats sont à mener : le premier, contre le mal généralisé de l’indifférence ; le second conduit à se mettre à l’épreuve du politique, à s’engager auprès des plus pauvres, des démunis et délaissés, à organiser des « équipes citoyennes » ; le troisième à « oser la transcendance », à diriger le regard vers plus grand que soi, l’absolu de l’amour, ce « fil à plomb d’une spiritualité réussie » (p. 81). Passer de la monoculture d’une chapelle religieuse à la polyculture. Lorsque « le ciel est vide, l’isolement entraîne dans la profondeur du désespoir », écrit l’auteur, qui invite à se méfier des « chaudrons communautaires » qui aliènent et mutilent la liberté de choix.

Jean-François Serres est ainsi un maître de sagesse qui exhorte les hommes à devenir « des aventuriers de la relation », à constituer « ce nouveau peuple qui se lève », promoteur de la démocratie de demain. 13 millions de bénévoles sont engagés dans ce mouvement dans la France de 2016. Ils vouent au principe de fraternité une grande partie de leur vie. Ils ont compris que « l’innovation ne peut se contenter d’être technologique, elle doit être aussi sociale ». La fraternité, n’est-ce pas la confiance qui désarme les dominants ? Elle insuffle « l’art du renouveau politique ». Souhaitons que la lucidité et l’espérance dont fait preuve ici Jean-François Serres ne se réduisent pas à l’incantation ou au vœu pieux !

Anne Baudart
15 novembre 2017
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