Du sentiment d’insécurité à l’État sécuritaire
Philippe Robert et Renée Zauberman Le Bord de l’eau, 2017, 126 p., 12 €La France vient de mettre un terme à l’état d’urgence et d’adopter une nouvelle loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ». L’ouvrage de Philippe Robert et de Renée Zauberman, co-directeurs de l’Observatoire scientifique du crime et la justice (Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales, Cesdip) vient à point nommé pour décoder les tenants et aboutissants des politiques adoptées par les gouvernements successifs de droite comme de gauche. En une centaine de pages parfaitement argumentées, ils parviennent à vulgariser, dans un langage clair, des données qui illustrent le basculement d’une approche objective de la délinquance et de la criminalité vers une centralisation sur le « sentiment d’insécurité », souvent déconnecté des risques réels encourus par les citoyens. Une première partie est consacrée à analyser les peurs à la base de ce sentiment (et, de ce point de vue, la peur du chômage et de l’insécurité sociale est bien plus prégnante que la peur de la violence physique). Une seconde partie, plus brève, revient sur les liens entre précarité et sentiment d’insécurité. Mais c’est la troisième partie, sur le « traitement politique de l’insécurité », qui est la plus éclairante. Les auteurs dépeignent avec brio les évolutions de ce traitement politique en France, depuis les années 1970, où l’insécurité devient « un enjeu politique obsédant », observant la manière dont les collectivités locales se sont emparées du sujet dans les années 1980, puis les tentatives décevantes – faute d’action sociale d’envergure – des politiques publiques en direction des quartiers défavorisés et, finalement, le basculement dans une logique purement sécuritaire, dans un contexte marqué par les attaques terroristes. Le constat fait par Philippe Robert et Renée Zauberman est sévère. Arguments à l’appui, ils dénoncent l’impasse d’un État sécuritaire et le jeu dangereux d’une instrumentalisation qui ne s’attaque pas aux causes profondes du sentiment d’insécurité, à savoir, les inégalités sociales. Un ouvrage salutaire, à lire par les responsables politiques, les analystes et commentateurs de la vie politique.
31 octobre 2017