Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !
Logo du site

Politiques de l’inimitié

Achille Mbembe La Découverte, 2016, 182 p., 16 €

Le « Tout-monde » a eu son poète fondateur ; il a aujourd’hui son grand penseur, historien se jouant de toute frontière, à commencer par les frontières disciplinaires. Ce monde apparaît aujourd’hui singulièrement obscurci : « L’époque, décidément, est à la séparation, aux mouvements de haine, à l’hostilité et, surtout, à la lutte contre l’ennemi ».  La guerre, sous ses différentes formes, en serait devenue le poison et le remède (Achille Mbembe reprenant ici le concept du pharmakon platonicien). Guerre qui concourrait au développement de sociétés de l’inimitié, fondées sur des désirs d’apartheid et des phénomènes de séparation, signes d’une « reconduction planétaire de la relation coloniale ». Guerre qui, au côté d’autres évolutions, comme la croissance d’un capitalisme allié aux technologies numériques s’étendant sur la nature entière, pousserait à une « sortie de la démocratie ». Cette fresque, ancrée en Afrique – car, comme l’indique l’auteur, toute pensée du monde est d’abord régionale –, mais largement ouverte sur l’Amérique et l’Europe, est placée sous la figure tutélaire de Frantz Fanon (dont Achille Mbembe a préfacé les œuvres complètes à La Découverte). L’auteur se demande comment passer d’une démocratie des semblables, dont l’humanisme « abstrait et indifférencié » peut être « aveugle à sa propre violence et à ses passions racistes », à une démocratie du vivant dans son ensemble (humains et non-humains), faisant toute la place à l’Autre qui – au fond – est en nous également, et à une humanité élargie. Comme dans ses précédents livres, le style est toujours aussi remarquable et imagé, sans doute parce que l’auteur a l’intime conviction que « nous n’avons que la parole et le langage pour nous dire nous-mêmes, pour dire le monde et agir sur lui. » En conclusion, le propos s’élargit, Achille Mbembe proposant une « éthique du passant » : « Pouvoir séjourner et circuler librement ne constituent-ils pas des conditions sine qua non du partage du monde, ou encore ce qu’Édouard Glissant avait appelé la « relation mondiale » ? À quoi pourrait ressembler la personne humaine par-delà l’accident de la naissance, de la nationalité et de la citoyenneté ? »

Jean Vettraino
5 décembre 2016
* Champs requis
Séparé les destinataires par des points virgules