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La part inconstructible de la Terre. Critique du géo-constructivisme

Frédéric Neyrat Seuil, 2016, 384 p., 19, 50 €

« L’environnement sera ce que nous en ferons. » Ce mot d’ordre est à l’origine de La part inconstructible de la Terre, ouvrage du philosophe français Frédéric Neyrat, qui y décèle le caractère métaphysique de nos déboires environnementaux. Ces derniers seraient liés à une conception erronée de la nature, nous conduisant à nier nos relations avec le monde. Cet ouvrage stimulant, bien que trop dense, constitue en ce sens une critique du constructivisme qui tend à faire de la nature une idée plus qu’une réalité matérielle. Aux yeux de l’auteur, une telle conception mène nécessairement à la recherche « d’une maîtrise des effets négatifs de notre propre maîtrise », voie sans issue à laquelle il souhaite proposer une alternative. Il s’attache ainsi dans un premier temps à décortiquer les discours des « géo-constructivistes », défenseurs de la géo-ingénierie, soit un ensemble de technologies plus ou moins fantasques qui visent la modification du climat. Si les périls écologiques procèdent de la main de l’homme, c’est seulement par la même puissance qu’ils pourront être évités : l’anthropisation de la Terre atteste de sa reconstruction possible. Au-delà de leur danger potentiel, ces « technologies pompiers » agissent sur les conséquences et non sur les racines du problème. La cause en est « l’anaturalisme » de cette pensée : elle fait comme si la nature n’existait pas. Selon l’auteur, c’est là que peut se nouer la rencontre avec un courant dominant de la pensée écologiste, « l’éco-constructivisme », qui s’appuie sur l’affirmation « de l’instabilité ontologique des écosystèmes » – soit l’idée d’adaptation – et d’une interconnexion absolue rendant caduque la différenciation nature-culture. Ce discours, dont on peine à saisir les représentants si ce n’est Bruno Latour (caricaturé), mènerait ainsi à légitimer les solutions techniques, destin inéluctable à notre condition d’hybrides. Pour sortir de cet « anaturalisme » en devenir, Frédéric Neyrat propose finalement une « écologie de la séparation » qui vise à « relier ce qui est abusivement séparé » et à « séparer ce qui est excessivement connecté ». Cela n’irait en rien contre une pensée de la relation, dans la mesure où c’est la distance même qui la rend possible. La séparation permettrait la reconnaissance de l’autre et d’une dépendance vis-à-vis de ceux qui partagent le même monde. N’est-ce pas, pourtant, cette même séparation qui est à l’origine de notre domination prédatrice (cf. Philippe Descola) ? Non, car selon l’auteur, c’est davantage un clivage, une rupture radicale entre deux réalités, qu’une séparation qui a mené au déni cartésien de la relation. On ressent néanmoins quelques difficultés à saisir les tenants et aboutissants réels de cette nouvelle pensée, ses affinités avec le naturalisme et, plus généralement, les frontières des filiations entre les courants décrits. Cette lecture en laissera certainement quelques-uns confus, mais elle ne manquera pas de poser de bonnes questions.

Marie Drique
10 novembre 2016
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