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Nos mythologies économiques

Éloi Laurent Les liens qui libèrent, 2016, 112 p., 12 €

Publié peu avant les débats relatifs au projet de loi El Khomri, le livre d’Éloi Laurent tombe à point nommé pour comprendre la place particulière tenue par l’économie dans le débat politique actuel. Grammaire implacable, l’analyse économique se contenterait de donner à voir les contraintes, les impératifs contraignant les choix politiques et serait ainsi devenue « l’impératif social que ceux qui nous gouvernent ne sont plus capables d’imposer par la force ou la persuasion » (p. 10). Pour l’auteur, cette sacralisation du discours économique irait à l’encontre d’un questionnement pourtant nécessaire au débat démocratique. Plutôt que d’«  idées reçues », de « doxa » ou de « sens commun », Éloi Laurent parle de « mythologies économiques » (en référence aux Mythologies de Roland Barthes, auxquelles Éloi Laurent fait allusion dans le prologue et l’épilogue). Agissant comme des mystifications politiques, ces mythologies économiques proposent un certain nombre de représentations non discutables, dont la force repose sur l’apparente évidence. L’ouvrage en donne quinze illustrations, organisées en trois chapitres : la mythologie néolibérale, la mythologie social-xénophobe, la mythologie écolo-sceptique. L’auteur commence par déconstruire la morale simpliste qui sous-tend la rhétorique néolibérale : mettant en scène un dynamisme mercantile entravé par l’État, celle-ci occulte le rôle de nombreuses institutions sociales dans la création de richesse. Après avoir rappelé qu’un marché concurrentiel n’apparaît jamais spontanément mais suppose des règles définies par les pouvoirs publics, Éloi Laurent met en évidence la vacuité des discours politiques vantant les « réformes structurelles ». Il montre ensuite que le discours actuel de l’extrême droite – outre les traditionnelles angoisses identitaires et culturelles – s’appuie sur l’idée que l’immigration représenterait un coût, une charge insupportable pour nos économies et nos modèles sociaux. Replaçant les flux migratoires actuels dans leur évolution historique, ce chapitre rappelle des chiffres opportuns sur le profil des immigrés et sur l’ampleur des discriminations raciales en France. Enfin, dans la continuité de ses autres travaux, l’auteur démontre que l’idée d’une transition énergétique spontanément opérée par les marchés et l’innovation ne résiste pas à l’épreuve des faits. Ce livre court dénonce plusieurs idées considérées comme des évidences indépassables. Cependant, si déconstruire ces mystifications est nécessaire, ce n’est pas suffisant : « Il faut qu’une parole politisée fasse retour pour que le charme des mythologies économiques soit enfin rompu » (p. 102).

Thomas Chabert
28 juin 2016
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