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La grande fracture : les sociétés inégalitaires et ce que nous pouvons faire pour les changer

Joseph Stiglitz Les liens qui libèrent, 2015, 448 p., 25 €.

À 70 ans, Joseph Stiglitz n’a rien perdu de sa flamme. Dans un livre plus personnel que d’ordinaire, le prix Nobel d’économie rappelle que c’est par souci de justice sociale qu’il a embrassé une carrière d’économiste plutôt que celle de physicien. Présent lors du « I have a dream » de Martin Luther King en 1963, celui qui est alors un leader estudiantin décide de consacrer sa thèse à un sujet encore marginal en économie… les inégalités (il rappelle incidemment son antériorité sur Piketty). Mais le cœur de son ouvrage est ailleurs. Au fil de ce recueil d’articles publiés dans la presse ces dernières années (dont celui à l’origine du mouvement Occupy Wall Street), se dessine un réquisitoire en règle contre la confiscation des richesses et du pouvoir par le 1 % (et surtout le 0,1 %) des plus riches aux États-Unis. « Durant la "reprise" de 2009-2010, le 1 % a accaparé 93 % de l’augmentation du revenu national ». Le capitalisme américain ne joue pas, aux yeux de Stiglitz, le jeu du marché : il favorise les rentes. Le ruissellement des richesses fonctionne, non pas vers le bas, mais vers le haut. Et il se double d’une « capture cognitive » des élites : après les énormes fautes commises par les banques, qui ont mené à la crise, les politiques n’ont trouvé d’autre réponse que de les renflouer sans condition. Et l’on se prend à penser que les États-Unis ne sont plus tant une démocratie qu’une ploutocratie, où les puissances de l’argent achètent sans limite les faveurs des candidats. Où le patrimoine des parlementaires eux-mêmes dépasse le plus souvent les cinq millions de dollars… Les articles sont courts, efficaces, remarquablement traduits, et tout le talent du professeur Stigltiz est de mettre les enjeux de l’économie et de la finance à la portée du plus grand nombre. Mais le tout, patchwork de réflexions éparses, n’échappe pas aux redondances, résultant en un ouvrage moins dense, moins abouti que les précédents. Certaines envolées peuvent même surprendre, comme les louanges dressées à l’île Maurice et à Singapour, modèles selon l’auteur de croissance équitable : la richesse de ces paradis fiscaux n’est-elle pas en bonne partie siphonnée sur le dos des pays voisins ? De même, le silence sur le lien entre inégalités et crise écologique est étonnant. À ma question sur ce point lors d’une conférence de presse, il a répondu : « Next book ». On s’impatiente déjà.

Jean Merckaert
26 octobre 2015
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