Ce livre est le résultat d’une vaste enquête de terrain sur l’univers foisonnant des pratiques alternatives, menée dans une dizaine de régions françaises. Éric Dupin possède un vrai talent pour raconter de manière à la fois vivante et informée ses rencontres avec des « défricheurs » aux profils variés, dont le seul point commun est la volonté de vivre et de travailler autrement, en rupture avec le productivisme et le consumérisme dominants. L’un des points forts du livre réside dans le nombre et la diversité des expériences décrites : habitat alternatif et vie communautaire, agriculture écologique, monnaies locales, nouvelles coopératives de production, économie sociale et solidaire, pratiques de mutualisation et de consommation collaborative, etc. L’auteur combine habilement les angles de vue, mêlant portraits et histoires personnelles aux descriptions évocatrices de lieux et de milieux (avec une forte représentation de certains territoires comme la Drôme et l’Ardèche), ponctuant son propos de synthèses qui permettent de contextualiser les cas étudiés. Le regard est empathique, mais lucide, se gardant de toute idéalisation. Au terme de ce voyage, la question demeure de savoir si ces dissidences peuvent faire tache d’huile et déboucher sur une transformation sociale d’ampleur. L’auteur en doute, du fait notamment du profil socio-culturel très particulier des nouveaux dissidents et du « rejet de la vie publique » dont ils font souvent preuve. Or, « un vrai changement social et écologique passe obligatoirement par un combat politique ». L’appel au changement personnel, en effet, risque de ne pas peser lourd face aux pesanteurs économiques. L’aspiration à vivre autrement, qui plus est, n’est pas la seule force de transformation à l’œuvre : les démarches de développement durable et les efforts des entreprises pour réduire leur impact environnemental ne relèvent pas tous du greenwashing. Les frontières sont d’ailleurs floues entre les innovations sous-tendues par une rationalité économique prenant en compte les contraintes écologiques et celles qui s’inscrivent dans une volonté de rupture avec le système (par exemple dans le domaine de l’économie de la fonctionnalité). Entre les deux, des convergences sont inéluctables. Dans cette perspective, l’importance politique des défricheurs procède moins de la force d’attraction de leur mode de vie que de leur capacité à explorer des éléments de solution dont nous auront tôt ou tard besoin pour inventer à plus grande échelle une économie et une société soutenables.